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Le jardin, c'est de la philosophie.

Erik Orsenna.

Le jardinage comme métaphore

Noël-Antoine Pluche
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Le jardin à la française dont ceux de Versailles et de Vaux-le-Vicomte sont les plus représentatifs, figurant l'ordre imposé, la hiérarchie, la domination de la nature, ne pouvait que satisfaire l'aristocratie et un représentant de l'Eglise: l'abbé Pluche!
Leurs lignes droites dominantes, leurs formes rigides et géométriques, leurs bornes claires et tranchées, leur subordination de masses, de couleurs, et de plantations dans un ordre imposé de l'extérieur, leurs dessins floraux qui assemblent de nombreuses variétés de fleurs sans jamais les mélanger, sans jamais les laisser pousser hors de leur place: toutes ces caractéristiques reflètent la mentalité, l'esprit et l'ambiance de la société aristocratique de l'Ancien Régime et surtout celle de la cour de Versailles. ?
Dans son ouvrage, l'abbé Pluche situe une partie de l'éducation dans le contexte du jardinage d'un jardin à la française. Ainsi, s'entretiennent un professeur, une comtesse, un comte et un chevalier:
Tout est lié dans la nature; & quoique chaque chose y ait sa fin particulière, ou sa correspondance avec quelqu'autre, nous les voyons toutes se rapporter à l'homme en dernier lieu. Elles se réunissent en lui comme dans leur centre; il est la fin de tout, puisqu'il est ici le seul qui fasse usage de tout.
[...]
tableau Il ne faut que mettre en ordre ce que la nature a placé autour de nous. Vous en jugerez encore mieux par les autres embellissemens de nos jardins. Laissons croître en liberté le tilieul, le coudrier, l'épine blanche, les arbres fruitiers, en un mot toutes les plantes qui sont ici. Nous nous trouverons dns peu logés comme les tigres & les ours: nous nous verrons environnés de brossailles & de hautes futaies. Donnons le moindre arrangement à ce que nous avons sous notre main, nos demeures se convertissent en un paradis terrestre.

Le petit groupe arrive, tout en discutant, au potager dont la pratique ne diffère pas, selon l'abbé, du gouvernement d'un état:
C'est ici une vraie république. Une main savante a partagé tout le terrain, y a rassemblé tout un peuple de plantes, & leur a assigné à chacune leur quartier & leur demeure propre. Toutes les familles provenues d'une même origine logent à part dans des cantons distingués, & forment autant de différentes peuplades. La multitude ne met ici aucune confusion. Vous voyez régner partout la police & la propreté. De peur que les citoyens de cet état ne se nuisent les uns aux autres, & que les grands surtout n'affament les petits en attirant à eux toute la graisse de la terre; on a assuré aux moindres plantes une portion de place suffisante pour leur entretien, en mettant à part les arbres qui veulent être nourris en abondance, & logés plus au large. [...] On tient les arbres même les plus forts sous des loix si sévères qu'ils n'appauvrissent jamais le moindre légume, & tous subsistent par les soins d'un bon gouvernement dans la plus parfaite intelligence.
[...]
Tant que les jeunes plantes sont dans la pépinière, on les tient à l'étroit sous un gouvernement sévère. [...] Les plus jeunes sont encore plus serrées, tant pour ménager le terrain que pour les faire pousser droit, en ne leur laissant aucune liberté de s'étendre si ce n'est vers le haut. Après la contrainte de cette première éducation, elles iront prendre une place honorable parmi les arbres faits:... on les voit prospérer... elles sentent l'avantage du grand air, & d'un bon établissement.
[...]
Partout, à la barbarie et à la rusticité, il substitue la politesse, la bonté, & la douceur. On prendroit notre jardinier pour un législateur qui entreprend de civiliser tout un peuple sauvage.

Jean-Jacques Rousseau sera d'une opinion différente.

Jean-Jacques Rousseau
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Dans Emile, Jean-Jacques Rousseau qui a choisit le jardin anglais comme modèle, dès la première page, annonce: Tout est bien, sortant des mains de l'Auteur des choses; tout dégènère entre les mains de l'homme. Il force une terre à nourrir les productions d'une autre; un arbre à porter les fruits d'un autre. Il mêle et confond les climats, les élémens, les saisons. Il mutile son chien, son cheval, son esclave. Il bouleverse tout, il défigure tout: il aime la difformité, les monstres. Il ne veut rien tel que l'a fait la nature, pas même l'homme; il le faut dresser pour lui comme un cheval de manège; il le faut contourner à sa mode comme un arbre de son jardin.
Dans son oeuvre Emile, Emile et Sophie se voit pour la première fois alors que les deux adolescents ont fini leur éducation et sont au seuil de leur vie d'aldultes. C'est dans un jardin à l'anglaise qu'a lieu la rencontre:
L’on se promène dans le jardin : ce jardin a pour parterre un potager très bien entendu ; pour parc, un verger couvert de grands & beaux arbres fruitiers de toute espèce, coupé en divers sens de jolis ruisseaux, & de plates-bandes pleines de fleurs. Le beau lieu! s’écrie Emile plein de son Homère et toujours dans l’enthousiasme ; je crois voir le jardin d’Alcinous. [...] Alcinous, leur dis-je, étoit un roi de Corcyre, dont le jardin, décrit par Homère, est critiqué par les gens de goût comme trop simple & trop peu paré. et Rousseau ajoutera en note: On ne voit ni treillages, ni statues, ni cascades, ni boulingrins.

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Sources

- Jean CHEVALIER - Alain GHEERBRANT- Dictionnaire des symbolesphoto - Robert Laffont
- Marie-Thérèse GOUSSET- Edenphoto - Le jardin médiéval à travers l'enluminure XIIIe - XVIe siècle - Albin Michel
- Marie-Thérèse HAUDEBOURG- Les jardins du Moyen-âgephoto - Perrin
- Le Nouvel observateur- Tous les jardins du mondephoto - Hors série
Sur le Web
- Peter V. CONROY- Le jardin polémique chez J.-J. Rousseau;
Ouvrages numérisés
- Noël-Antoine PLUCHE- Le spectacle de la nature, ou Entretiens sur les particularités de l'Histoire naturelle...-
- Jean-Jacques ROUSSEAU- L'Emile ou de l'éducation-

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