Le jardin des philosophes est le vase qui contient la matière du grand oeuvre. Les couleurs sont les fleurs de ce jardin, que le feu de la nature aidé du feu artificiel, fait naître et éclore."
Dom Pernety - "Dictionnaire mytho-hermétique" cité dans "Le jardin et la nature" de Danièle Duport.
"Les images alchimiques puisent dans le monde du jardin, en tant que lieu necessitant des soins assidus, qui devraient conduire, comme l'alchimie, à la réalisation de la perfection."
Lucia Impelluso - "Jardins, potagers et labyrinthes"
Les jardins allégoriques
Le jardin alchimique
Opus Alchemicus come hortus conclusus de Janus Lacinuse jardin alchimique, bien que rare dans cette littérature peut être mis en concordance avec la Kabbale chrétienne car selon Roger Bacon ils ne différent que par une question de langage, chacun voulant en déchiffrer le secret. Le jardin alchimique se confondait quelquefois avec le jardin des apothicaires dont certains étaient aussi alchimistes. Ainsi Jacques Gohory possédait un jardin botanique, le Lycium philosophal San Marcellin, situé dans le faubourg Saint-Marcel, où il acclimatait des plantes rares et où deux pavillons servaient de laboratoires. De même, Nicolas Houel, ouvrira dans ce même faubourg, une maison de Charité avec un jardin, une apothicairie et une école de musique.
L'utilisation du jardin en forme d'allégorie n'est pas systématique bien que nous y retrouvons les figures de l'arbre, des labours, des semailles, de la germination et de la croissance végétale qui servent à suggérer l'évolution spirituelle de l'homme; en ce qui concerne la Renaissance, la fontaine, la grotte, particularités de ces jardins les complètent.
Dans l'histoire littéraire des jardins, une lecture alchimique du Roman de la Rose sera proposée par J. Gohory sous le titre Livre de la Fontaine perilleuse et le Songe de Poliphile deviendra Le Tableau de riches Inventions de François Béroalde de Verville. Bernard Palissy, Jean Bodin, André Thevet et plus récemment Gilles Polizzi, contesteront ces interprétations.
Le parcours du jardin
omme dans toutes initiations, il est imposé le secret. Aussi les récits allégoriques ne donnent qu'une réponse partielle, au premier degré afin que le mystère en soit inaccessible au néophyte et que seul l'initié puisse en comprendre tout le sens; J. Gohory précisera: lire
Ainsi, L'ignorant reste à la porte du jardin, tel un homme sans pied, comme le montre l'emblème de Michaël Maïer.
Le jardin représente le point de départ de la métamorphose; il n'est pas un chemin d'errance comme est le labyrinthe mais le lieu où s'accomplit le grand oeuvre.
"L'alchimie rend au jardin une dimension dont la tradition allégorique religieuse l'avait amputée, la rencontre entre l'homme et la nature. ...la tradition scolastique l'a réduit aux joliesses du lieu idyllique ou bien à des éléments métaphoriques contenus dans un jardin très arcitectural. C'est la montée à de la sève, à l'éclosion, au travail souterrain de croissance menant vers la fontaine de la Jérusalem céleste que l'écriture de l'alchimie s'intéresse plus qu'à son architecture."
Danièle Duport - Le jardin et la nature
La fontaine
Elle estoit à trois étages supportez chacun de quatre colonnes tuscanes, proportionnées les inférieures à celles de dessus, de sorte que les plus hautes estoient moindre d'un tiers que celles qui estoient en bas, la longueur du quarré du plan estoit du quart de la hauteur, les planchers, ou les divisions estoient de fin acier. Et la forme sur quoy tout estoit basty, estoit un cube de couleur et de dureté semblable à l'émeraude, ayant cinq pieds et demy de pente quarrée, posé sur un de marbre qui luy estoit double.
Béroalde de VervilleLes Appréhensions spirituelles cité par Danièle Duport.
elon Dom Pernety, au centre du jardin est une fontaine aux sept sources, celles-ci représentant les sept métaux associés aux sept planètes. Pour Béroalde de Verville, c'est de la fontaine que les éléments se créent. Souvent, la fontaine est associée à la grotte et quelquefois, cette dernière est présentée avec un bassin, ou abrite une source ou une fontaine. De cette association, leur symbolisme se confond; réunissant l'eau, la terre et le feu, elle est le modèle pour l'alchimiste. - On peut constater que dans une grotte créée par Salomon de Caus figurent des branches de corail dont la forme rend manifeste la nature végétative du minéral qui est la pierre philosophale selon Michael Maier.
- Michel Conan, établit le parallèle entre l'entrée du jardin, emblème XXVII de M. Maïer et celle des jardins du château de Heidelberg crées par Salomon de Caus. voir
Cependant il pense que le créateur de ces jardins faisaient davantage référence aux allégories des Rose-Croix puisque les commanditaires, dit-on, étaient proches de cette confrèrie.
- Malgré les grottes de son jardin délectable qui pourraient être des grottes alchimiques, B. Palissy réfute cette "science" et réserve le projet alchimique au seul Créateur.
L'alchimie n'utilise pas le dessin des parterres dans ses allégories et l'accent est mis sur la fontaine. Elle emprunte à Pythagore sa vision du monde fondée sur le rapport des nombres et leur vibration musicale. Ils animeraient tout l'univers et le jardin-microcosme n'échappe pas à cette formulation; aussi l'échiquier sera une figure de l'oeuvre de B. de Verville; avec le développement des emblèmes et des jardins botaniques, les plantes cultivées devaient avoir une signification cachée que les auteurs n'ont jamais révélée. Ils devaient malgré tout par leurs formes, leurs nombres, leurs tailles et leur disposition rendre visible l'harmonie du cosmos telle que l'imaginaient les alchimistes.
Conclusion
'alchimie qui voulait reproduire le processus de la création reste une magnifique construction intellectuelle qu'on pourrait traiter de prométhéenne; elle a été incapable de réaliser son dessein mais seulement de traduire en allégorie une quête vers la complète réalisation de soi.
Le jardin mandala
n mandala est une figure géométrique généralement ronde symbole de l'unité. Aussi il est aisé de créer un jardin de cette forme en jouant sur les plantations et les fleurs.
Tel le jardin alchimique, il est un macrocosme défini par le cercle, image du cosmos, le point central symbolisant sa source, son origine et pour le méditant, la sagesse, le silence et le néant.
Il ne s'agit pas ici de développer cette figure qui, selon les courants religieux, associent différentes formes au cercle pour traduire leurs interprétations du monde. L'occident adoptera la rosace qui représentera le cheminement du chrétien vers le centre.
Le mandala chez C.G. Jung
G. Jung considérait le mandala dessiné spontanément comme une tentative insconciente de "mettre de l'ordre" dans notre psyché; il était la voie qui menait au centre de nous-même, à l'individuation et disait: En chacun de nous existe un autre être que nous ne connaissons pas. Il nous parle à travers le rêve et nous fait savoir qu'il nous voit bien différent de ce que nous croyons être.
Il a observé que ces images sont utilisées pour consolider l'être intérieur ou pour favoriser la méditation en profondeur. La contemplation d'un mandala est censée inspirer la sérénité, le sentiment que la vie a retrouvé son sens et son ordre. Le mandala produit le même effet lorsqu'il apparait spontanément dans les rêves de l'homme moderne qui ignore ces traditions religieuses.
Les formes
- Le cercle, image de l'univers et de l'éternité;
- le carré, symbole de la terre, de stabilité et d'équilibre;
- le triangle, représentation de la perfection et de l'harmonie;
- l'étoile, source de lumière et guide.
n peut remarquer que les jardins de la Renaissance s'ornaient de massifs dont les figures étaient apparentées aux mandalas indiens.
Massifs composés par Daniel Loris dans Le thresor des parterres de l’univers.
Les couleurs
Les couleurs incitent à philosopher.
Représentons-nous le voir dans toute son énigme.
Le pape Innocent III, qui était alors que le cardinal Lothaire de Segni, uniformisa peu à peu les usages de Rome à toute la chrétienté et les proposa, selon les liturgistes qui l'avaient précédé, un code des couleurs selon les fêtes célèbrées. Ainsi le blanc, symbole de pureté, de joie et de gloire fut utilisée pour les fêtes du Christ, des anges et de la Vierge, le rouge, rappelant le feu de l'Esprit-Saint le sang, pour les fêtes de la Croix, la Pentecôte, les fêtes des martyrs et des apôtres, le noir, couleur du deuil et de pénitence, pour le Vendredi-saint et la messe des morts, la durée de l'Avent et du Carême, le vert devint la couleur de l'espérance, vertu théologale, et de la vie éternelle. "Le vert doit être choisi pour les fêtes où ni le blanc ni le rouge ni le noir ne conviennent, parce que c'est une couleur moyenne entre le blanc, le rouge et le noir.
cité par Michel Pastoureau - Vert
Cependant la couleur sera source de conflit dans les confréries religieuses, entre ceux qui la détermineront comme "matière", donc vile et futile, et ceux qui la détermineront comme "lumière", donc propre à servir le divin. Naîtra, malgré ces oppositions, une véritable théologie des couleurs, tant dans les oeuvres iconographiques ou architecturales que dans les attributs liés à la lithurgie.
Leur classement
Celles-ci n'ont pas toujours été classées comme aujourd'hui, en primaires et complémentaires, mais jusqu'à la découverte d'Isaac Newton, selon le classement atttribué à Aristote: blanc, jaune, rouge, vert, bleu, violet et noir. Avant lui il semble que les hommes, en matière de textiles, ne connaissaient que le blanc qu'ils opposaient au noir et au rouge, ce dernier allant du rosé au pourpre. Jean Robertet, dans son ouvrage L'exposition des couleurs, en donnera un autre classement: blanc, bleu, rouge gris, vert, jaune, violet, tanné et noir.
Enfin Newton proposera le violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé et rouge selon les couleurs du spectre solaire.
Des auteurs proposeront d'autres classements tel Michel-Eugène Chevreul qui fit un cercle chromatique des couleurs qui intéressa surtout les peintres et Goethe qui, pour la première fois introduira le facteur physiologique dans l'appréciation des couleurs.
Leurs symbolismes dans le mandala et l'histoire
Blanc: pureté innocence. Procure de la clarté.
Blanc: couleur de la joie de la conversion, du baptême, de la gloire et de la vie éternelle pour l'Eglise
Rouge: amour comme la haine, le danger et l'interdit. Représente le feu, la passion et la colère.
Rouge: orgueil et luxure
Noir: couleur négative. Représente l'obscurité, les ténèbres et la tristesse.
Noir: Couleur du deuil. Abstinence la pénitence et l'affliction pour l'Eglise.
Orange: joie, vitalité et audace. Provoque la joie et la bonne humeur et évoque le soleil, la lumière et la chaleur.
Orange
Jaune: maudite en Occident car associé aux périls, l'exclusion et la trahison mais évoque aussi la gaité, la joie, l'énergie et le dynamisme. En Asie symbolise la puissance, la sagesse et la richesse.
Jaune: envie et jalousie
- Vert: symbole de la nature, celle qui régènère. Médiateur entre le chaud et le froid, il est rafraîchissant et rassurant.
, des dettes de jeu....
Tristan L'Hermitte le chantera: lire
- bleu: selon son intensité, il symbolise la sérénité, le calme mais aussi l'infini. C'est la plus froide des couleurs mais aussi la plus pure. Symbolise le calme l'apaisement, le réconfort.
Pour les Romains, le bleu est néfaste: c'est une couleur "barbare". Sombre, elle deviendra la couleur de la mort et des Enfers et aussi celle du deuil.
Il restera absent de tous les écrits et dans les oeuvres sauf dans les mosaïques et miniatures, jusqu'à son apparition en "première ligne" dans les vitraux, les émaux, la peinture et l'étoffe à l'extrême fin du XIIe siècle où il deviendra un bleu clair lumineux. Au rouge, s'opposera désormais le bleu. De la théologie des couleurs, le bleu sera presque aussi important que l'or afin d'imager la lumière tout comme on peut le voir dans diverses cathédrales. Quant aux édifices cisterciens, ils resteront vanitas leur donnant cet aspect sobre propre à l'abbé de Clairvaux, d'autant plus que le mot color est rattaché au verbe celare, cacher qui, par déduction donne à la couleur, une connotation de tromperie et de dissimulation. Plus tard, la réforme s'opposera à toutes couleurs dans le temple.
Au départ, Marie portera des couleurs sombres signe d'affliction puis peu à peu son vêtement deviendra plus clair à fur et à mesure que le culte marial se développera. Elle se vêtira peu à peu d'une robe d'un bleu éclatant telle une reine du ciel, avant de devenir une reine dorée à l'âge baroque puis de blanc vêtue lors de l'adoption du dogme de de l'Immaculée Conception en 1854. Ainsi elle passa par toutes les couleurs, du plus sombre au plus clair, le blanc!
Dans les oeuvres chevaleresques, le chevalier bleu n'apparaitra qu'en seconde place au XIVe siècle, courageux, loyal, fidèle pour prendre progressivement le premier rang tels les rois dans les cours d'Europe, de même que le roi Arthur où l'azur des princes prendra ce rang dans la hiérarchie et se propagera à de nombreux apparats autres que les écus et bannières pour en arriver à devenir la couleur de tous les rois, le rouge restant celle de l'empereur et de la papauté.
Le bleu sera donc de toutes les fêtes et sera un symbole de joie, de loyauté et de paix.
Aux XVIIIe siècle et suivants, le bleu surpassera toutes les autres couleurs en devenant la couleur des lumières, du progrès et de la liberté; c'est la couleur des romantiques associée à la mélancolie, la poésie et l'onirisme mais aussi l'ideal.
- violet: c'est la couleur du mystère, du romantisme, de l'idéalisme; caractère mélancolique mais c'est aussi couleur de la paix et de la connaissance, de la religion et de la magie.
violet
Conclusion
Pour terminer cette promenade à travers les jardins, je rapporterais les écrits de Malgorzata Grygielewicz.
"L'idée de jardin compris comme espace de cultivation, conçu pour le profit et l'agrément a dominé notre civilisation. Nous avons oublié ce qui était à l'origine du jardin, un lieu de rencontre philosophique.
[...]
Dans le jardin philosophique, il y a une propension de l'homme et de l'incertitude. La volonté de croissance, donc, n'est pas une volonté d'intellectualité, de certitude mais une volonté instrumentale de croissance pour trouver un chemin lumineux à travers les terres ténébreuses. ...
Le jardinier ne se pose jamais la question de la certitude et de la vérité. Il joue avec les plantes en les faisant grandir, se décaler les unes par rapport aux autres, et embellir. C'est la première fois ici qu'il est question de la beauté du jardin, de la beauté des plantes. Le philosophe/jardinier peut jouir de la beauté des plantes. La volonté de croissance, c'est aussi la volonté d'une délectation intime où l'on jouit de sa puissance de jouer avec les plantes. La volonté de se délecter du jardin est une intention un peu suspecte, mais aussi une force créatrice qui pousse à modeler, à métamorphoser, à se métamorphoser."
Le jardin grec- rencontre philosophique.
Mais aussi ce poème:
Voici le nouveau jardin
à toi il s’offre
Si tu ouvres les yeux
voici les iris
Si tu tends la main
voici les pivoines
Si tu as répandu ta chevelure
Voici, de senteur en senteur,
Tous les sentiers de la fragrance
menant vers les herbes infinies
Vers la fontaine
jaillie du tombeau
Si tu as soif encore
À toi il s’offre
le jardin nouveau.