andis que l'Europe se couvraient de jardins à la Française, une révolution jardinière se préparait insensiblement en Angleterre. L'un de premiers signes de cette rupture fut donné par John Vanbrugh qui fut chargé de construire le palais de Blenheim de style baroque et d'aménager ses jardins situés dans le domaine de Woodstock dont le château était en ruine. Ainsi il écrivait à la duchesse de Malborough au sujet des ruines de ce château que la duchesse voulait raser: ... Si l'espace vide où il se trouve était garni d'arbres (surtout de beaux ifs et de houx pour former un fourré) tout ce qui subsiste du bâtiment apparaîtrait entre deux amoncellements de végétation, et constituerait l'un des objets les plus agréables qu'un peintre de paysages puisse concevoir.
Malgré ces arguments, les ruines du château de Woodstock furent rasées en 1720 et les matériaux évacués.
Ainsi en quelques lignes, les caractèrisques principales du jardin à la française étaient éliminés: il ne s'agissait plus de créer une longue perspective devant la face maîtresse du château vers un point quelconque mais de meubler par un objet le paysage à moyenne distance qui pourrait donner à un peintre paysagiste, une occasion de fixer ce lieu sur sa toile. Ce type de jardin ne faisait plus appel à l'architecte mais au peintre, ce qui était absolument nouveau dans la profession!
Vanbrugh apparait comme l'innovateur du changement qui s'opérera au cours du XVIIIe et qui rassemblera les peintres, les écrivains tels que J.-J. Rousseau, les poètes tels que Pope et l'abbé Delille et toute une famille de jardinistes qui contribueront au renouveau des jardins.
Nous pouvons aussi citer C.H. Watelet qui écrivait: Rapprochons-nous du peintre.
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C. Hirschfeld: Aucun n'est allié d'aussi près que l'art des jardins à la peinture.
et J.-M. Morel: Cette nation pensante en substituant le crayon à la règle et au compas l'a élevé au rang des arts libéraux.
Ainsi, on abandonnait cordeau, compas, équerre, instruments de l'architecte pour la toile et le pinceau du peintre ou le crayon du dessinateur.
De Girardin y ajoutera la sensibilité du poète pour créer un tel jardin.
Nous avons aussi le témoignage de sir Thomas Robinson qui écrivait en 1734, à un ami: Un nouvel art des jardins vient de se faire jour; il a tant de succès dans ceux du prince à Londres que l'on redessine tous les plans des plus grands parcs du royaume qui sont disposés selon les idées de M. Kent, c'est à dire sans niveau ni cordeau.
Bien que ce renouveau traversa l'Europe entière, c'est bien en Angleterre que le processus prit naissance et évoluera au cours des siècles suivants. On les appellera "jardins anglais, pittoresques" ou encore " paysagers", mot encore employé aujourd'hui.
Les jardins "à la française" de Versailles et Vaux-le-Vicomte qui représentaient l'absolutisme dans le gouvernement et la maitrise de la nature dans la pratique jardinière ne pouvaient qu'apparaître déplacés au siècle des Lumières. Ces jardins qui laissaient la nature reprendre ses droits tout en la controlant permettraient-ils une autre forme de société, une autre manière de vivre?
Delille comparera le jardin à un vaste tableau et donnera ses conseils:
Soyez peintre. Les champs, leurs nuances sans nombre, Les jets de la lumière et les masses de l'ombre, Les heures, les saisons variant tour à tour Le cercle de l'année et le cercle du jour, Et des prés émaillés les riches broderies, Et des riants coteaux les vertes draperies, Les arbres, les rochers, et les eaux, et les fleurs, Ce sont là vos pinceaux, vos toiles, vos couleurs: La nature est à vous; et votre main féconde Dispose pour créer, des éléments du monde. Mais avant de planter, avant que du terrain |
Votre bêche imprudente ait entamé le sein, Pour donner aux jardins une forme plus pure, Observez, connaissez, imitez la nature. N'avez-vous pas souvent, aux lieux infréquentés, Rencontré tout à coup ces aspects enchantés Qui suspendent vos pas, dont l'image chérie Vous jette en une douce et longue rêverie? Saisissez, s'il se peut, leurs traits les plus frappants, Et des champs apprenez l'art de parer les champs. Voyez aussi les lieux qu'un goût savant décore Dans ces tableaux choisis vous choisirez encore. |
Après avoir chanté les jardins d'Europe, du Moyen-Orient et de la Chine dont on peut s'inspirer:
J'ai dit les lieux charmants que l'art peut imiter; Mais il est des écueils que l'art doit éviter. L'esprit imitateur trop souvent nous abuse. Ne prêtez point au sol des beautés qu'il refuse. Avant tout, connaissez votre site; et du lieu Adorez le génie, et consultez le Dieu. Ses lois impunément ne sont pas offensées. Cependant, moins hardi qu'étrange en ses pensées, Tous les jours, dans les champs, un artiste sans goût Change, mêle, déplace, et dénature tout, |
Et, par l'absurde choix des beautés qu'il allie, Revient gâter en France un site d'Italie. Ce que votre terrain adopte avec plaisir, Sachez le reconnaître, osez vous en saisir. C'est mieux que la nature, et cependant c'est elle; C'est un tableau parfait qui n'a point de modèle. Ainsi savaient choisir les Bergems, les Poussins. Voyez, étudiez leurs chefs-d'oeuvre divins; Et ce qu'à la campagne emprunta la peinture, Que l'art reconnaissant le rende à la nature. |
Il nous met en garde contre les excès et les éléments artificiels:
Par un contraire abus, l'art, tyran des campagnes, Aujourd'hui veut créer des vallons, des montagnes. Evitez ces excès: vos soins infructueux Vainement combattraient un terrain montueux; Et dans un sol égal un humble monticule Veut être pittoresque, et n'est que ridicule. Désirez-vous un lieu propice à vos travaux? Loin des champs trop unis, des monts trop inégaux, J'aimerais ces hauteurs où, sans orgueil, domine Sur un riche vallon une belle colline. Là, le terrain est doux sans insipidité, Elevé sans raideur, sec sans aridité. Vous marchez: l'horizon vous obéit; la terre S'élève ou redescend, s'étend ou se resserre. |
[...] Là, le crayon à la main, Dessinez ces aspects, ces coteaux, ce lointain; Devinez les moyens, pressentez les obstacles: C'est des difficultés que naissent les miracles. Le sol le plus ingrat connaîtra la beauté. Est-il nu? que des bois parent sa nudité; Couvert? Portez la hache en ses forêts profondes; Humide? en lacs pompeux, en rivières fécondes Changez cette onde impure; et, par d'heureux travaux, Corrigez à la fois l'air, la terre et les eaux; Aride, enfin? Cherchez, sondez, fouillez encore; L'eau, lente à se trahir, peut-être est près d'éclore. |
puis il fait appel au "genius loci" et à la cohérence dans le choix des nuances:
Il est des soins plus doux, un art plus enchanteur. C'est peu de charmer l'oeil, il faut parler au coeur. Avez-vous donc connu ces rapports invisibles Des corps inanimés et des êtres sensibles? Avez-vous entendu des eaux, des près, des bois, La muette éloquence et la secrète voix? Rendez-nous ces effets. Que du riant au sombre, Du noble au gracieux, les passages sans nombre M'intéressent toujours. Simple et grand, fort et doux, Unissez tous les tons pour plaire à tous les goûts. Là, que le peintre vienne enrichir sa palette; Que l'inspiration y trouble le poète; Que le sage du calme y goûte les douceurs; |
L'heureux, ses souvenirs; le malheureux, ses pleurs. Mais l'audace est commune, et le bon sens est rare. Au lieu d'être piquant, souvent on est bizarre. Gardez que, mal unis, ces effets différents Ne forment qu'un chaos de traits incohérents Les contradictions ne sont pas des contrastes. D'ailleurs, à ces tableaux il faut des toiles vastes. N'allez pas resserrer dans des cadres étroits Des rivières, des lacs, des montagnes, des bois. On rit de ces jardins, absurde parodie Des traits que jette en grand la nature hardie; Où l'art invraisemblable à la fois et grossier, Enferme en un arpent un pays tout entier. |
puis incite à varier les effets:
Au lieu de cet amas, de ce confus mélange, Variez les sujets, ou que leur aspect change: Rapprochés, éloignés, entrevus, découverts, Qu'ils offrent tour à tour vingt spectacles divers. |
Que de l'effet qui suit l'adroite incertitude Laisse à l'oeil curieux sa douce inquiétude; Qu'enfin les ornements avec goût soient placés, Jamais trop imprévus, jamais trop annoncés. |
et insiste sur la nécessité du mouvement, inexistant dans le jardin à la française:
Surtout du mouvement, sans lui, sans sa magie, L'esprit désoccupé retombe en léthargie; Sans lui, sur vos champs froids mon oeil glisse au hasard. Des grands peintres encor faut-il attester l'art? Voyez-les prodiguer, de leur pinceau fertile, De mobiles objets sur la toile immobile: L'onde qui fuit, le vent qui courbe les rameaux, Les globes de fumée exhalés des hameaux, Les troupeaux, les pasteurs, et leurs jeux et leur danse. Saississez leur secret, planter en abondance Ces souples arbrisseaux, et ces arbres mouvants, Dont la tête obéit à l'haleine des vents; Quels qu'ils soient, respectez leur flottante verdure, |
Et défendez au fer d'outrager la nature. Voyez la dessiner ces chênes, ces ormeaux; Voyez comment sa main, du tronc jusqu'aux rameaux, Des rameaux au feuillage, augmentant leur souplesse, Des ondulations leur donna la mollesse. [...] Vous donc, dans vos tableaux amis du mouvement, A vos arbres laissez leur doux balancement. Qu'en mobiles objets la perspective abonde; Faites courir, tomber et rejaillir cette onde. [...] Le terrain, les aspects, les eaux et les ombrages Donnent le mouvement, la vie aux paysages. |
Enfin, il intègre le site du jardin dans l'environnement:
Du haut de ces coteaux, de ces monts d'où la vue D'un vaste paysage embrasse l'étendue, La Nature au Génie a dit; " Ecoute-moi: Tu vois tous ces trésors; ces trésors sont à toi. Dans leur pompe sauvage et leur brute richesse, Mes travaux imparfaits implorent ton adresse." Elle dit. Il s'élance; il va de tous côtés Fouiller dans cette masse où dorment cent beautés; Des vallons aux coteaux, des bois à la prairie, Il retouche en passant le tableau qui varie; Il sait, au gré des yeux, réunir, détacher, |
Eclairer, rembrunir, découvrir, ou cacher. Il ne compose pas; il corrige, il épure, Il achève les traits qu'ébaucha la nature. Le front des noirs rochers a perdu sa terreur, La forêt égayée adoucit son horreur; Un ruisseau s'égarait, il dirige sa course; Il s'empare d'un lac, s'enrichit d'une source. Il veut, et des sentiers courent de toutes parts Chercher, saisir, lier tous ces membres épars, Qui, surpris, enchantés du noeud qui les rassemble, Forment de cent détails un magnifique ensemble. |
Dans ce chant, il rendra hommage à Bacon, aux poètes Pope et Milton, déclare son admiration pour les jardins anglais de cette époque. Il émet le souhait d'être enterré dans un tel jardin:
Et moi, peintre des champs, moi, qui ferai peut-être Vivre ces beaux jardins que vos mains ont fait naître, Mon nom du moins, mon nom habite donc ces lieux! La pierre qui l'honore est donc chère à vos yeux! |
Des groupes de bergers et des choeurs de bergères Viennent donc quelquefois de leurs danses légères Animer la prairies où gît modestement, Au bord d'un clair ruisseau, mon humble monument! |
orace Walpole considère William Kent comme le fondateur du jardin anglais qui popularisa le ha-ha; il s'inspira des tableaux de Claude Lorrain.
Voici pour quelles raisons j'appelle la suppression des clôtures le grand pas, le pas décisif. On n'eût pas plutôt fait cette espèce d'enchantement si simple qu'on se mit à niveler, à tondre, à rouler nos gazons. Les dehors contigus d'un parc sans clôture durent s'accorder avec les dedans, et à son tour le jardin dut être délivré de sa régularité originaire pour pouvoir s'assortir au site agreste du dehors. Le fossé était la marque spéciale d'un jardin; mais pour qu'il ne parut pas trop une ligne de séparation entre l'agreste et le peigné, on s'avisa de faire entrer les dehors dans une espèce de plan général; et quand la nature y fut admise avec quelques embellissements , chaque pas qu'on fit, découvrit de nouvelles beautés et inspira des idées nouvelles. C'est alors que parut Kent, assez peintre pour sentir les charmes d'un paysage, assez hardi et ferme dans ses opinions pour oser donner des préceptes, et né avec assez de génie pour voir un grand système dans le crépuscule de nos essais imparfaits. Il sentit le délicieux contraste des coteaux et des vallons s'unissant imperceptiblement l'un à l'autre; il ajouta ces belles ondulations d'un terrain qui s'élève et s'enfonce alternativement; et il remarqua avec quelle grâce une éminence douce se couronne de bouquets d'arbres qui attirent de loin la vue parmi leurs tiges élégantes, en même temps qu'ils éloignent et étendent la perspective par la décevante comparaison des objets intermédiaires.
Ainsi le pinceau de son imagination prodigua tous les artifices d'un beau paysage aux scènes qu'il dessina. Les grands principes sur lesquels il travaillait étaient la perspective et le clair-obcur. Des groupes d'arbres rompirent l'uniformité d'une clairière trop étendue; des bois, des arbustes toujours verts contrastèrent avec l'éclat des campagnes; et quand le point de vue était moins heureux ou assez découvert pour être aperçu d'un même coup d'oeil, il en obscurcit quelques parties pour y mettre de la variété ou pour augmenter le charme du site le plus riche en ménageant la découverte et ne la développant au spectateur que successivement. Ainsi choisissant les objets heureux, et cachant les difformités par des plantations placées au devant comme des repoussoirs; quelquefois employant le désert le plus sauvage pour faire valoir la scène la plus riche, il réalisa les compositions des grands peintres. Manquait-il d'objets pour animer son horizon? son talent d'architecte savait aussitôt le terminer avec goût. Ses fabriques, ses pavillons, ses temples étaient plutôt l'ouvrage du pinceau que du compas. C'est à son habileté dans la perspective que nous devons la resrtauration du style grec et les progrès de l'architecture.
Mais la plus grande beauté de toutes celles dont il orna ce beau pays-ci, c'est l'emploi et la distribution des eaux. Adieu les canaux, les bassins circulaires, les cascades tombant sur un escalier de marbre, cette absurde magnificence moderne des jardins italiens et français. Plus de cataractes péniblement guindées. Un joli ruisseau parut serpenter à son gré: s'il était arrêté par la différence de niveaux du terrain, son cours semblait être seulement caché par des bocages artistement distribués et on le voyait reparaître dans l'éloignement à la distance où il devait naturellement arriver. Ses bords étaient en pente douce, mais conservant toujours leur ondulation irrégulière. Quelques arbres dispersés çà et là le long des rives de ce méandre y répandaient leur ombrage; et quand il dispaîssait entre les coteaux d'autres ombrages tombant des hauteurs conduisaient sur sa route supposée et formaient dans le lointain le point de vue où on le perdait comme s'il tournait d'un autre côté de l'horizon.
C'est ainsi qu'avec le seul coloris de la nature, avec l'art de saisir ses plus beaux traits, on vit paraître une création nouvelle. Le paysage vivant fut corrigé quelquefois ou embelli, jamais dénaturé. On rendit aux arbres la liberté de leurs formes, ils étendirent sans gêne leurs rameaux. Si quelque chêne ou hêtre distingué avait échappé à la serpe et survécu au reste de la forêt, on arrachait soigneusement à l'entour le buis et la ronce pour lui rendre l'honneur de décorer et d'ombrager la plaine. Si le feuillage touffu d'un bois antique étendait au loin son dais mobile et devenait imposant par sa vénérable obscurité, Kent éclaircissait les premiers rangs et n'y laissait que quelques arbres détachés et dispersés, pour ne donner passage qu'à une clarté adoucie; mêlant ainsi une lumière bigarrée à l'ombre allongée des tiges qu'il conservait en guise de colonnade.