Pierre Grimal- L'art des jardins.
L'esprit moderne, né durant la Renaissance, s'affirmera largement au XVIIe siècle et Noémi Hepp, mieux que toute autre nous en résume le caractère: Siècle de conquête et non d'acceptation... L'homme du XVIIe siècle n'est pas soumis aux données brutes du monde; s'il accepte en général l'autorité..., il est préoccupé aussi de dominer. Dominer la matière: grandes et puissantes architectures, jardins géométriques conçus selon des plans autrement vastes que les jardinets en marqueterie du Moyen-Age, jets d'eau et feux d'artifices qui s'élèvent haut dans le ciel contre la loi naturelle de la pesanteur. Dominer son corps aussi... Dominer ses instincts, son coeur... Encore et toujours, se lancer dans des conquêtes et vaincre.
Ainsi, les jardins d'une époque sont des révélateurs de l'esprit qui l'anime que peuvent l'être sa sculpture, sa peinture ou les oeuvres de ses écrivains.
i tous, connaissons André Le Nôtre en jardinier, maniant "la bêche et le rateau", comme il est raconté, parlant de lui à Louis XIV qui lui proposait de l'anoblir, son vrai visage apparait dans l'ouvrage que lui dédie
Patricia Bouchenot-Déchin: André Le Nôtre? Un nom connu de tous, associé à un siècle, le XVIIe, à un roi, Louis XIV, à un art, celui des jardins. Même si la légende est belle, ce petit-fils de jardinier n'a jamais été cet homme que l'on dit parti de rien, bêche et chapeau à la main. Héritier de deux charges royales et d'une clientèle prestigieuse, Le Nôtre développe ses talents en se frottant aux esprits cultivés de son temps avant de devenir contrôleur général des Bâtiments, Arts et Manufactures du roi Soleil.
Pierre Le Nôtre, grand-père d'André, maître jardinier aux Tuileries, transmettra son office à son fils Jean, jardinier ordinaire du roi chargé de l'entretien du jardin des Tuileries de Marie de Médicis; il portera, en 1625, le titre de dessinateur des plants et jardins. Ce dernier épousera, Marie Jacquelin, fille du maître jardinier Toussaint Jacquelin. C'est dans cet entourage familial que naîtra le 12 mars 1613, André, prénom de son parrain, André Bérard de Maisoncelle, Claude de Martigny, épouse de Claude Mollet, également jardinier du roi aux Tuileries, sera sa marraine.
En 1700, la mort du "bonhomme" Le Nôtre donne l'occasion à Saint-Simon, d'apporter quelques traits sur son caractère et sa conduite à la cour:
Le Nôtre mourut ... après avoir vécu quatre-vingt-huit ans dans une santé parfaite, [avec] sa tête et toute la justesse et le bon goût de sa capacité; illustre pour avoir le premier donné les divers dessins de ces beaux jardins qui décorent la France, et qui ont tellement effacé la réputation de ceux d’Italie qui, en effet, ne sont plus rien en comparaison, que les plus fameux maîtres en ce genre viennent d’Italie apprendre et admirer ici. Le Nôtre avoit une probité, une exactitude, et une droiture qui le faisoit estimer et aimer de tout le monde. Jamais il ne sortit de son état ni ne se méconnut, et fut toujours parfaitement désintéressé. Il travailloit pour les particuliers comme pour le roi, et avec la même application ; ne cherchoit qu’à aider la nature, et à réduire le vrai beau aux mains de frais qu’il pouvoit; il avoit une naïveté et une vérité charmante. Le pape pria le roi de le lui prêter pour quelques mois. En entrant dans la chambre du pape, au lieu de se mettre à genoux, il courut à lui. " Eh ! Bonjour, lui dit-il, mon révérend père, en lui sautant au cou et l’embrassant et le baisant des deux côtés. Eh! que vous avez bon visage, et que je suis aise de vous voir et en si bonne santé!" Le pape, qui étoit Clément X, Altieri, se mit à rire de tout son cœur. Il fut ravi de cette bizarre entrée, et lui fit mille amitiés.* * Ce fait est récusé par Le Nôtre qui ne dit qu'avoir embrassé la mule du pape. Peut-être que Saint-Simon rapporte là, un bruit qui courait à la cour, une "fake news" de cette époque! |
Si nous connaissons Le Nôtre et Jules Hardouin-Mansard, il n'en est pas de même en ce qui concerne les simples jardiniers qui entretenaient tout cet ensemble où les allées devaient être ratissées, les massifs arrosés, sans herbe intruse, les fontaines nettes et propres, les arbres et buis taillés au cordeau, les orangers sortis ou remisés selon la saison, etc...
Comme dans la famille des Le Nôtre, les jardiniers formaient des dynasties dont les noms se perpétuaient de père en fils et dont les alliances matrimoniales restaient dans la sphère "jardinière".
Des personnages sont visibles, participant aux travaux du jardin.
Les premiers parterres furent crées par Hilaire Ier Masson et Claude Mollet qui furent aussi les premiers jardiniers de Versailles après avoir travaillé aux Tuileries. Plusieurs des fils du premier, Mathieu, Claude, Guillaume, Antoine et Hilaire II y furent également jardiniers. Le premier cité, Mathieu, épousa en 1653, Jeanne Thifaine dont le père Girard s'était démis de sa charge de jardinier au profit de son gendre. Guillaume Masson qui avait épousé Renée Le Juge, fut jardinier à Versailles puis aux Tuileries pour y aider Claude et Elisabeth, ses deux belles-sœurs dont le père, François Le Juge, était jardinier du roi au Louvre. Antoine fut fontainier du roi "en son parc de Versailles". Hilaire II vit sa carrière de jardinier interrompue en 1660 pour "dégradations" commises dans le jardin.
Henry Dupuis fut l'un des jardiniers dont la carrière de jardinier à Versailles fut l'une des plus longues épousa Geneviève Trumel, une des filles de Marin Trumel, "oranger du roi". Deux de leurs fils furent également jardiniers à Versailles et Trianon. Une fille du même Marin Trumel épousa Pierre Collinot, jardinier à Versailles dont le frère Jean, lui-même jardinier, épousa Jeanne Macé, fille d'un autre jardinier Macé Fouché dit "maistre Massé" auquel il succéda. Marin Trumel était lui-même apparenté à la famille Le Nôtre par sa mère, Marguerite Lenôtre, cousine de Jean.
Chaque jardinier avait sa spécialité; ainsi Henry Dupuis était spécialisé dans les alignements qu'il avait dirigés aux Tuileries, à Saint-Germain et à Versailles, Jean et Pierre Collinot construisaient les treillages décoratifs faits de lattes, de perches, d'échalas de chêne, de châtaignier ou de frêne. D'autres s'occupaient du fleurissement des parterres comme Michel le Bouteux et Olivier Fleurant à Trianon.
Le travail des jardiniers consistait également à labourer les parterres, ratisser et sabler les allées, tailler et arroser les plants et certains fournissaient les arbres et plantes du jardin ou d'importantes quantités de fumier et terreaux pour enrichir les plantations.
Outre les gratifications, les jardiniers estimés par le roi recevaient des dons de places à bâtir et quelques privilèges tels les deux fils de Mathieu Masson, prénommés Louis, qui eurent le roi comme parrain!