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Les réactions aux jardins à la française

Claude Watelet
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Claude Watelet que la répétition des lignes droites lassait, écrivait: Un parc est, en général, un vaste enclos entouré de murs, planté et distribué en massifs et en allées droites dans différentes directions symétriques, qui présentent, presque partout, à peu près le même genre de spectacle.
tableau Et quelques pages plus loin, il affirme: Il en résulte que peu satisfait de leurs vastes et symétriques dimensions, on désire d'en sortir pour retrouver dans la campagne ce désordre de la Nature qui plaît bien plus que la régularité.[...]
Les branches et les feuillages mutilés et transformés en plafonds, ou en murs, n'oseront végéter que sous les loix de fer, des distributions semblables à celle des appartemens reproduiront, en plein air, des salles, des cabinets, des boudoirs, où se trouvera le même ennui qui remplit ceux que couvrent les lambris dorés.

Jean-Marie Morel
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Deux ans après Watelet, J.M. Morel attaquera les abus et extravagances du jardin français: Il composa un Jardin comme une maison; il le compartit en salles, en cabinets, en corridors; il en forma les divisions avec des murs de charmilles percés de portes, de fenêtres, d'arcades & leurs trumeaux furent chargés de tous les ornemens destinés aux édifices. Par une suite de cette fausse analogie, les Architectes donnerent à ces pieces, ainsi qu'à celles de leurs bâtimens, des formes rondes, carrées, octogones; ils les décorerent, comme un appartement avec des vases, des niches, des guaines; ils y logerent des statues, habitans insensibles bien dignes d'un si triste séjour; ils les meublerent comme des chambres, avec des tapisseries de verdures, du treillage, des perspectives peintes, des lits, des sieges de terre couverts de gazons; ils édifierent ainsi jusqu'à des salles de théâtre, des dortoirs & imaginerent enfin le minutieux labyrinthe.
Toujours Architectes, quand il falloit être Jardiniers, ils taillerent un arbre, comme une pierre, en voûte, en cube, en pyramide, ils asservirent leurs contours jusqu'à l'eau si mobile, dont la marche irréguliere & libre fait tout le charme. [...]
Ils pousserent enfin l'application de leurs principes jusqu'à couper par étages les terreins qui n'étoient pas d'un niveau parfait; ils les soutinrent par des murs & quelquefois par des taluts roides & inflexibles comme le fer dont ils furent façonnés; ils en établirent les communications par des rampes & des escaliers. Trop préoccupés de leur méthode, ils ne firent pas attention que le terrein de niveau, manquant de mouvement, son uniformité les privoit de l'effet heureux que produit le jeu des pentes & des hauteurs, & le mélange si agréable des vallées & des collines; & que, si la nécessité justifioit la communication de divers étages d'un bâtiment par des escaliers, rien n'étoit plus incommode que de monter & de descendre des marches dans un Jardin, où de toutes les manieres de faire parvenir d'un point à un autre, celle-ci étoit la moins facile & la moins naturelle. [...]
Et dans leur marche & leur composition, se répétant perpétuellement les uns & les autres, ils plantent au milieu de la maison, à angle droit de la façade, sur une ligne qu'ils appellent l'axe principal, une allée longue & étroite qui ne laisse entrevoir au-delà, que comme à travers le tube d'une lunette, l'objet que le hazard y a placé, quel qu'il soit. Tant pis pour le spectateur, si la ligne sacrée ne présente, dans sa direction, rien qui l'intéresse; il faut qu'il regarde là & non ailleurs.

Christian Cay Lorenz Hirschfeld
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Lorsqu'ils ne sont pas simplement imités, mais qu'ils sont plantés suivant les propres idées d'une nation, ils peuvent faire connaître son caractère, qui certainement s'y peint [...] Le goût du joli et du spirituel qui s'allie si aisément avec l'esprit de bagatelle, régnait visiblemnt dans les anciens jardins français. [...]
Versailles, Marly, St-Germain, Chantilly, Meudon, etc... abondoient en carreaux de fleurs élégamment dessinés, en terrasses, en jets d'eau, en grandes machines hydrauliques, en charmilles élevées, en grillages, en labyrinthes, en grottes, en statues, en ornements sculptés, & à mesure que ces décorations naissoient, la nature disparoissoit sous leur pompe & leur magnificence. Tous ces objets étoient sans doute autant de beautés pour des spectateurs légers, mais suivant les vrais principes de l'art, ce n'étoient que des raffinements outrés & déplacés en partie: il y régnoit quelque goût, mais du mauvais; quelque génie, mais de celui qui faute de bonnes directions prodigue inutilement ses forces. L'étendue & la magnificence de ces jardins, si les riches promesses que Louis réiteroit sans cesse à le Nôtre dans l'enthousiasme que les plans de cet artiste faisoient naître à mesure que l'esprit du Roi les saisissoit, ne donnoient ici à l'art le droit d'étouffer les beautés naturelles. [...]
Ces fameux jardins de Versailles auxquels on a d'ailleurs fait déjà plus d'un reproche, frappent d'abord d'étonnement & d'admiration, bientôt ils ennuyent; & peu après ils inspirent le dégoût.

Horace Walpole
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Dans son "Essai sur l'art des jardins modernes", Horace Walpole, grand admirateur des jardins "anglais" et pourfendeur des jardins "à la française" écrit: Quand l'orgueil et le goût exclusif de la propriété ont pris des forces, la haie a été honorablement changée en muraille...; car cette inondation du luxe qui a si fort enflé nos besoins a presque tout pris sa source dans le réservoir de la simple raison.
Quand l'usage d'enclore de murs les jardins fut ainsi établi à l'exclusion de la nature et de la perspective, le goût du faste et l'ennui de la solitude se combinèrent pour imaginer quelque chose qui pût enrichir et vivifier une possession insipide et inanimée. Les fontaines inventées d'abord pour l'usage, mais que la grandeur se plait à déguiser et même à rendre inutile, furent enrichies de marbres précieux; et pour contredire toute utilité furent forcées d'élancer dans les airs tout la masse de leurs eaux en colonnes jaillissantes. Dans les mains de l'homme simple et sauvage, l'art n'était que le coopérateur de la nature; dans les mains de la richesse fastueuse il devint un moyen de la combattre, et plus il en traversa la marche, plus nos seigneurs admirèrent l'exercice de son pouvoir. Des canaux tirés au cordeau s'introduisirent à la place des ruisseaux serpentant librement; et des terrasses péniblement guindées s'élevèrent au lieu des pentes faciles qui unissent naturellement le vallon à la montagne. Une balustrade fut posée sur ces hautes fabriques pour en écarter le danger du précipice, et des rampes d'escaliers rejoignirent les terrasses au terrain creusé pour les élever. A ces inutiles balcons on ajouta des vases, de la sculpture; et des statues garnirent ce site inanimé de figures grotesques photosubstituées aux êtres vivants qu'on avait exclus de ces riches déserts. Ainsi le travail et la dépense devinrent les éléments de ces somptueuses solitudes de la vanité, et chaque embellissement nouveau ne fut qu'un pas de plus pour s'éloigner de la nature. Les jets d'eau pour mouiller un spectateur imprudent, et non pour rafraîchir celui que la chaleur fait haleter, les parterres brodés comme un habit, n'étaient que des efforts puérils de la mode et de la nouveauté pour réveiller le goût du faste émoussé par la satiété; enfin pour couronner ces impuissants travaux du faux goût, on appliqua les ciseaux sur cette agréable simplicité de formes qui dans la nature distingue les différentes espèces d'arbres et d'arbustes. Le vénérable chêne, le hêtre romanesque, l'orme utile à tant d'usages, la tige élancée du tilleul, le cercle régulier du marronnier, l'oranger même presque jeté en moule, tous furent travaillés au gré des fantasques amateurs de la symétrie. Le compas et l'équerre servirent plus dans les plantations que le directeur même de la pépinière. Les allées tirées au cordeau, les quinconces, les étoiles porteront leur déplaisnte uniformité dans tout jardin royal ou noble. On étêta les arbres, on arrêta de coté leurs branches; ainsi la plupart des bosquets en France paraissent des coffres verts posés sur des perches. Des bancs de marbre, des berceaux, des pavillons terminèrent chaque point de vue, et la symétrie parut si essentielle, même dans les lieux trop vastes pour permettre au coup d'œil de la remarquer, comme Pope l'a observé:
Chaque allée a sa sœur aux jardins de Le Nôtre;
Une moitié du plan se réfléchit dans l'autre.

Les parterres à fleurs étaient avec plus de raison soumis à la même régularité; car comme le dit Milton:
L'oisiveté se plaît aux jardins bien peignés.
Plus loin, notre jardiniste-écrivain poursuit: Voyez comme la surface de notre pays est devenue riche, gaie et pittoresque. La démolition des murailles laissant à découvert tous les plans, on voyage partout à travers une succession de tableaux; et là même où il se trouve des défauts dans la composition, le coup d'oeil général est toujours embelli par la variété. Si nous ne retombons pas dans la barbarie de la symétrie et des clôtures, quels beaux paysages anobliront tous les coins de notre île, quand nos plantations journalières auront acquis une vénérable maturité.

Jacques Delille
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Bien qu'il dit n'exclure aucun jardin, Delille consacrera tout le premier chant de son oeuvre "Les jardins" au jardin anglais:

Rentrez dans nos vieux parcs, et voyez d'un regard
Ces riens dispendieux, ces recherches frivoles,
Ces treillages sculptés, ces bassins, ces rigoles.
Avec bien moins de frais qu'un art minutieux
N'orna ce seul réduit qui plait un jour aux yeux,
Vous allez embellir un paysage immense.
Tombez devant cet art, fausse magnificence;
Et qu'un jour transformée en un nouvel Eden,
La France à nos regards offre un vaste jardin.
Dans mes leçons je voudrais vous apprendre
L'art d'avertir les yeux, et l'art de les surprendre.
Mais, avant de dicter des préceptes nouveaux,
Deux genres, dès longtemps ambitieux rivaux,
Se disputent nos vœux. L'un à nos yeux présente
D'un dessin régulier l'ordonnance imposante,
Prête aux champs des beautés qu'ils ne connaissaient pas,
D'une pompe étrangère embellit leurs appas;
Donne aux arbres des lois, aux ondes des entraves,
Et, despote orgueilleux, brille entouré d'esclaves;
Son air est riant et plus majestueux.
L'autre, de la nature amant respectueux,
L'orne sans la farder, traite avec indulgence
Ses caprices charmants, sa noble négligence,
Sa marche irrégulière, et fait naître avec art
        suite...
Des beautés en désordre, et même du hasard.
Chacun d'eux a ses droits; n'excluons l'un ni l'autre;
Je ne décide point entre Kent et Le Nôtre.
L'un content d'un verger, d'un bocage, d'un bois,
Dessine pour le sage, et l'autre pour les rois.
Les rois sont condamnés à la magnificence:
On attend autour d'eux l'effort de la puissance;
On y veut admirer, enivrer ses regards
Des prodiges du luxe, et du faste des arts.
L'art peut donc subjuguer la nature rebelle;
Mais c'est toujours en grand qu'il doit triompher d'elle,
Ses éclats fait ses droits; c'est un usurpateur
Qui doit éblouir à force de grandeur.
Loin donc ces froids jardins, colifichet champêtre,
Insipides réduits, dont l'insipide maître
Vous vante, en s'admirant, ses arbres bien peignés;
Ses petits salons verts bien tondus, bien soignés;
Son plan bien symétrique, ou, jamais solitaire,
Chaque allée a sa sœur, chaque berceau son frère;
Ses sentiers ennuyés d'obéir au cordeau,
Son parterre brodé, son maigre filet d'eau,
Ses buis tournés en globe, en pyramide, en vase,
Et ses petits bergers bien guindés sur leur base,
Laissez-le s'applaudir de son luxe mesquin;
Je préfère un champ brut à son triste jardin.

Il rejette les dépenses du jardin à la française, et les pratiques structurelles, leur parfaite horizontalité et leur géométrie:

Pour embellir les champs simples dans leurs attraits,
Gardez-vous d'insulter la nature à grands frais.
Ce noble emploi demande un artiste qui pense,
Prodigue de génie, et non pas de dépense.
Moins pompeux qu'élégant, moins décoré que beau,
Un jardin, à mes yeux, est un vaste tableau.
[...]
Maintenant des terrains examinons le choix,
Et quels lieux se plairont à recevoir vos lois.
Il fut un temps funeste où, tourmentant la terre,
Aux sites les plus beaux l'art déclarait la guerre;
Et comblant les vallons, et rasant les coteaux,
D'un sol heureux formait d'insipides plateaux.
[...]
Vous marchez: l'horizon vous obéit; la terre
S'élève ou redescend, s'étend ou se resserre.
Vos sites, vos plaisirs, change à chaque pas.
Qu'un obscur arpenteur, armé de son compas,
Au fond d'un cabinet, d'un jardin symétrique
Confie au froid papier le plan géométrique;
Vous, venez sur les lieux.
[...]
Mais les ciseaux cruels... Prévenez ce forfait,
Nymphes des bois, courez! Que dis-je? C'en est fait!
L'acier a retranché leur cime verdoyante;
Je n'entends plus au loin sur leur tête ondoyante
Le rapide Aquilon légèrement courir,
Frémir dans leurs rameaux, s'éloigner, et mourir:
Froids, monotones, morts, du fer qui les mutile
Ils semblent avoir pris leur raideur immobile.

Le jardin anglais se voulait un morceau de nature s'intégrant dans son environnement sans que l'on dicerne une clôture; aussi pour marquer le jardin les jardiniers anglais l'entourèrent d'un ha-ha, fossé qui devait protéger le jardin des animaux.
Ce procédé apparut dérisoire à Delille puisqu'il écrit:

Voulez-vous mieux encor fixer l'oeil enchanté?
Joignez au mouvemnt un air de liberté;
Et, laissant des jardins la limite indécise,
Que l'artiste l'efface, ou du moins la déguise.
Ou l'oeil n'espère plus, le charme disparaît.
Quand, toujours guerroyant, vos gothiques ancêtres
Transformaient en champs clos leurs asiles champêtres.
Chacun dans son donjon, de murs environné,
Pour vivre sûrement, vivait emprisonné.
Mais que fait aujourd'hui cette ennuyeuse enceinte
Que conserve l'orgueil et qu'inventa la crainte?
Et ces murs qui gênaient, attristaient les regards,
Le goût préfèrerait ces verdoyants remparts,
Ces murs d'épine, où votre main tremblante
Cueille ou la rose inculte, ou la mûre sanglante.
Mais les jardins bornés m'importunent encor.
Loin de ce cercle étroit prenons encore l'essor
Vers un genre plus vaste et des formes plus belles,
Dont seul Ermenonville offre encore des modèles.
Les jardins appelaient les champs dans leur séjour;
Les jardins dans les champs vont entrer à leur tour.


René-Louis de Girardin
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Acquis aux idées de J.-J. Rousseau, le "seigneur d'Ermenonville", aménagera sa propriété à mode du jardin anglais et dans l'introduction de son ouvrage "De la composition des paysages, ou Des moyens d'embellir la nature autour des habitations en y joignant l'agréable à l'utile" il écrit: Chez les Peuples anciens où l'Architecture étoit dans toute sa gloire, lorsque les Palais & les Temples répandus jusques dans les Campagnes, imprimoient sur tout leur pays un caractère de majesté, nous ne voyons pas qu'ils aient jamais cherché à rendre leurs jardins remarquables, autrement que par la grandeur & la prodigalité de la dépense. Les délicieux asyles de la nature y furent méconnus; l'art fut déployé par-tout avec ostentation, & l'étalage de la magnificence fut seul en droit de leur plaire; tant la vanité aveugla de tous les tems les hommes sur leur vrais plaisirs, comme le préjugé sur leurs vrais intérêts.
Le fameux le Notre, qui fleurissoit au dernier siècle, acheva de massacrer la Nature en assujettissant tout au compas de l'Architecte; il ne fallut pas d'autre esprit que celui de tirer les lignes, & d'étendre le long d'une règle, celles des croisées du bâtiment; aussi-tôt la plantation suivit le cordeau de la froide simétrie; le terrein fut aplati à grands frais par le niveau de la monotone planimétrie; les arbres furent mutilés de toute manière, les eaux furent enfermées entre quatre murailles; la vue fut emprisonnée par de tristes massifs; & l'aspect de la maison fut circonscrit dans un plat parterre découpé comme un échiquier, où le bariolage de sables de toutes couleurs, ne faisoit qu'éblouir & fatiguer les yeux; aussi la porte la plus voisine pour sortir de ce triste lieu, fut-elle bientôt le chemin le plus fréquenté.
On n'avoit point un parc pour s'y promener, & l'on s'entouroit à grands frais d'une enceinte d'ennui; on se séparoit, par un obstacle intermédiaire, de la Campagne; tandis que par un instinct secret, on s'empressoit d'aller la chercher, quelque brute qu'elle put être, de préférence à toutes les allées bien droites, bien ratissées, & bien ennuyeuses.

Jean-Jacques Rousseau

Après avoir visité le verger de Julie, l'auteur imagine, sur un ton moqueur, celui-ci, créé par un homme riche de Paris ou de Londres,.
Je me figure, leur dis-je, un homme riche de Paris ou de Londres, maître de cette maison, et amenant avec lui un architecte chèrement payé pour gâter la nture. Avec quel dédain il entrerait dans ce lieu simple et mesquin! Avec quel mépris il ferait arracher toutes ces guenilles! Les beaux alignements qu'il prendrait! Les belles allées qu'il ferait percer! Les belles pattes-d'oie, lers beaux arbres en parasol, en éventail! Les beaux treillages bien sculptés! Les charmilles bien dessinées, bien équarries, bien contournées! Les beaux boulingrins de fin gazon d'Angleterre, ronds, carrés, échancrés, ovales! Les beaux ifs taillés en dragons, en pagodes, en marmousets, en toutes sortes de monstres! Les beaux vases de bronze, les beaux fruits de pierre dont il ornera le jardin*!...— Quand tout cela sera exécuté, dit M. de Wolmar, il aura fait un très beau lieu dans lequel on n'ira guère, et dont on sortira toujours avec empressement pour aller chercher la campagne; un lieu triste, où l'on ne se promènera point, mais par où l'on passera pour aller promener; au lieu que dans mes courses champêtres je me hâte souvent de rentrer pour venir me promener ici.
Je ne vois dans ces terrains si vastes et si richement ornés que la vanité du propriétaire et de l'artiste, qui, toujours empresser d'étaler, l'un sa richesse et l'autre son talent, préparent, à grands frais, de l'ennui à quiconque voudra jouir de son ouvrage. Un faux goût de grandeur qui n'est point fait pour l'homme empoisonne ses plaisirs. L'air grand est toujours triste; il fait songer aux misères de celui qui l'affecte. Au milieu de ses parterres et de ses grandes allées, son petit individu ne s'agrandit point: un arbre de vingt pieds le couvre comme un de soixante**; il n'occupe jamais que ses trois pieds d'espace, et se perd comme un ciron dans ses immenses possessions.

* Je suis persuadé que le temps approche où l'on voudra plus dans les jardins rien de cequi se trouve dans la campagne: on n'y souffrira plus ni plantes ni arbrisseaux; on n'y voudra que des fleurs de porcelaine, des magots, des treillages, du sable de toutes couleurs, et de beaux vases plein de rien.
** Il devait bien s'étendre un peu sur le mauvais goût d'élaguer ridiculement les arbres, pour les élancer dans les nues, en leur ôtant leurs belles têtes, leurs ombrages, en épuisant leur sève, et les empêchant de profiter. Cette méthode, il est vrai, donne du bois aux jardiniers; mais elle en ôte au pays, qui n'en a pas déjà trop. On croirait que la nature est faite en France autrement que dans tout le reste du monde, tant on y prend soin de la défigurer! Les parcs n'y sont plantés que de longues perches; ce sont des forêts de mats ou de mais, et l'on s'y promène au milieu des bois sans trouver d'ombre. [NDLA]

Sources

- Horace WALPOLE- Essai sur l'art des jardins modernesphoto - Mercure de France
Sur le Web
- Peter V. CONROY- Le jardin polémique chez J.-J. Rousseau;
Ouvrages numérisés
- Jacques DELILLE- Les jardins, ou L'art d'embellir les paysages-
- René-Louis de GIRARDIN- De la composition des paysages, ou Des moyens d'embellir la nature autour des habitations en... -
- C.C.L. HIRSCHFIELD- Théorie de l'art des jardins-

 

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