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Les jardins dans les écrits médiévaux

Le roman courtois

Les termes employés

Alors qu'aujourd'hui peu de mots désigne le jardin, il en était autrement au Moyen-Age. Un jardin utilitaire pouvait être nommé "potager" ou planté d'arbres fruitiers; un verger ou un jardin d'agrément restera un jardin à moins que sa surface soit importante et nous dirons "les jardins". Dans les romans médiévaux, nous le saurons qu'en fonction du texte; ainsi le mot "vergier"peut autant désigner un jardin qu'un verger. Nous trouverons plus rarement les mots "hort" et "jard".

L'amour courtois

La formule "amour courtois" a été formée au XIXe siècle par Gaston Paris, formule difficile à définir puisqu'elle n'existe pas au Moyen-Age; selon Michel Pastoureau, l'expression utlisée par les troubadours était fin'amor intraduisible en français moderne.
Le comte Guillaume IX de Poitiers est considéré comme l'initiateur des œuvres courtoises. Prisonnier durant la croisade en Orient menée par Godefroy de Bouillon, il aurait rapporté en pays d'Oïl, la sensualité des jardins musulmans. Dans les œuvres où le jardin est évoqué, il est toujours un lieu de délices où l'amour est lié à la passion, la sensualité et la concupiscence que les théologiens nommaient cupiditas opposé à l'amour chrétien, désintéressé et à la charité, caritas.
Où la femme est fautive dans la Genèse, elle est dominante dans le jardin courtois: le sentiment amoureux est le moteur de l'intrigue et le chevalier en est l'esclave; ce jardin est celui de la Dame qui est pour l'Eglise, le jardin de Marie: l'hortus conclusus.

Le type de roman courtois est "Le roman de la Rose" mais aussi "Le jardin de plaisance et fleur de rhétorique", anthologie de poèmes courtois réunis par un anonyme nommé "L'infortuné". Cet œuvre fut imprimé avec des caractères gothiques et est restée dans cette édition jusqu'à ce jour.

Le jardin courtois

photoDu jardin d'Eden, lieu de pureté, le jardin courtois devient le reflet inversé de celui-ci. Contrairement à celui des moines, ce jardin se situe du coté corporel et des plaisirs; il y a coïncidence entre l'éclosion de la poésie courtoise et du culte marial et on peut penser que le jardin d'Eden donna lieu à deux courants où les femmes chassées de celui-ci dans l'humiliation purent revenir dans ces nouveaux "paradis" faits à leur gloire: le jardin courtois et le jardin de Marie. C'est à partir de 1220 que l'église adjoint au nom de Marie celui de Notre-Dame.
Par la clôture qui le ceint, le jardin courtois est un lieu fermé, même si quelquefois il est entouré d'une forêt, le jardin n'étant qu'une clairière au milieu de celle-ci. Il est en dehors du monde!

photoMathieu de Vendôme codifiera les sept charmes du locus aemonus: clairières, fontaine, ruisseau, prairie d'herbe verte, fleurs blanches, arbres et oiseaux axquels s'ajoutent quelquefois les fruits. Ces éléments se répartissent en fonction des quatre éléments et des cinq sens. Ceci écrit en latin ont été transposés à la poésie courtoise en langue vulgaire: la vue et les fleurs, l'odorat et les parfums, l'ouïe et les chants de oiseaux, le goût et les fruits, le toucher et la douceur de la brise et du gazon.
Une seule porte y donne accès et est perçue comme un lieu de passage obligé, d'initiation. Mais ce lieu fermé est coupé de la réalité et enferme les amoureux dans leur monde voué uniquement aux plaisirs. Dans certains écrits, on peut penser que les murs sont ceux de la jalousie mais aussi un rempart contre les regards et la médisance. La tour y est souvent ajoutée, symbole protecteur mais aussi symbole de l'amour contrarié lorsque la jeune fille est enfermée dans celle-ci sous une contrainte physique ou morale car l'amour courtois est associé à la conquête.

En général, il est carré et on y retrouve l'image du damier ou de l'échiquier; les chevaliers de "La chanson de Roland" jouent aux échecs dans le verger où se tient l'empereur Charlemagne. Quelquefois d'autres jeux sont évoqués comme celui du jeu de l'oie ou du labyrinthe. Dans ces cas il s'agit d'un parcours initiatique, de la quête chevaleresque de l'amour.

photoL'eau claire et stagnante rejoint le miroir, celle coulant d'une source, la passion. La fontaine a sûrement pour origine les croyances populaires de la fontaine de jouvence qui donne jeunesse, santé et vie éternelle... dans ce monde, contrairement aux promesses de la religion qui sont dans un autre monde.

photoL'iconographie médiévale fait souvent appel aux tentes, restes des traditions antiques qui apporte la protection et le secret. Dans le roman "Guillaume de Dole", l'auteur décrit une fête où des couples festoient dans une clairière où sont dressées plusieurs tentes.
Dans certains cas, elles représentent aussi la puissance protectrice du roi ou des seigneurs et la force guerrière des armées.
La tente n'est pas le seul lieu où les amoureux peuvent se réfugier, les arbres et les bosquets sont aussi une seconde protection après les murs et les remparts.

Le " Vrigiet de solas"

"Cest livre puet on apieler vrigiet de solas. Car ki vioult y entrer par penser et par estude, il i trueve arbres plaisans et fruis suffisans pour arme nourir et pour cors duire et aprendre."

Le catalogue des manuscrits de la Bibliothèque nationale définit le "Vrigiet de Solas" comme un "abrégé de la doctrine chrétienne en figures".
Daté des XIIIe-XIVe siècles, il présente dix-neuf planches enluminées sur les trente-deux pages qui le composent; les treize pages restantes sont entièrement blanches qui devaient peut-être, être destinées à accueillir des textes relatifs aux différentes enluminures. Nous sommes là en présence d'un manuscrit qui inaugure la série des "âmes dévotes" qui conduira au cours des XIVe et début du XVe aux écrits de Pierre d'Ailly et de G. Deguileville.

Cliquez sur les images.
enluminure enluminure enluminure enluminure
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La lecture de la plupart des enluminures se fait de bas en haut pour donner un sens religieux et moral comme le dit François Garnier: Font exception à cet usage les programmes qui n'exposent pas seulement une suite de faits, réels ou imaginaires, mais lui donnent un sens religieux et moral. L'utilisation verticale de la lecture de bas en haut peut-être utilisée. ?
C'est une invitation pour une élévation de l'âme du lecteur!
Chaque planche exploite les nombres 6, 7, 10 et 12 auxquels on peut ajouter le 3 et le 4 dont la somme 7 est de nombreuses fois évoquée. Ce document contient également deux poèmes français et des inscriptions en latin ou en français qui servent de légendes aux enluminures.

Chrétien de Troyes

Erec et Enide

Dans "Erec et Enide", roman courtois et de chevalerie de Chrétien de Troyes, Gauvin se rend à Carrant où vit le roi Lac, protégé par soixante chevaliers. L'auteur décrit l'environnemnt de cette cité fortifiée où séjourne le roi.

De forêts et de prairies,
de vignes et de cultures,
de rivières et de vergers,
de dames et de chevaliers,
de jeunes gens vaillants et souriants,

de clercs généreux et bien éduqués,
habiles à dépenser leurs rentes,
de jeunes filles belles et gracieuses
et de bourgeois opulents,
voilà tout ce dont regorgeait cette cité.

Après maintes aventures, l'action se continue dans un magnifique jardin dit de la "Joie de cour" sans clôture ni palissade, entouré d'un mur d'air infranchissable et ne possèdant qu'une seule porte ne pouvant être franchie que par l'ami de la dame. Elle est ici symbole de fidélité d'autant plus que quiconque veut manger les fruits mûrs doit le faire dans le jardin car s'il veut les emporter il n'en trouvera la sortie qu'après avoir remis le fruit à sa place.
Dans ses aventures pour retrouver Enide, Erec devra combattre le chevalier Mabonagrain chargé par son amie de garder le jardin pour en interdire l'accès mais qui en est ainsi prisonnier. Erec le vaincra et entrera dans le jardin pour ensuite rejoindre la cour du roi Arthur.

Autour du verger, il n'y avait
ni mur ni palissade, mais de l'air seulement.
C'était de l'air qui de toutes parts
formait par magie la clôture du jardin,
si bien qu'on ne pouvait y pénétrer,
sinon en volant par-dessus,
comme s'il fût tout clos de fer.
Et tout l'été comme tout l'hiver,
il y avait là fleurs et fruits mûrs
et ces fruits, par quelque sortilège,
se laissaient manger sur place:
interdiction était faite de les porter au dehors,
car qui aurait voulu en emporter un seul
jamais n'aurait pu ni revenir à l'entrée
ni sortir du verger,
s'il n'avait pas remis le fruit cueilli à sa place.
Et sous le ciel, il n'y a oiseau qui vole
et dont le chant plaise à l'homme
pour le divertir et le réjouir,
que l'on ne pût y entendre,
et si trouvait beaucoup de chaque espèce.
Et la terre dans toute son étendue,
ne produit épice et racine
aux vertus curatives
qu'on ne puise trouver à foison dans ce verger,
tellement on en avait planté.
Par une étroite entrée,
la masse des gens y a pénétré,
le roi Evrain comme tous les autres.


Cligès

Après être restée plus de quinze mois entiers dans une tour avec Cligès, Fénice souhaite profiter du soleil:

Cher et doux ami,
prendre du bon temps,
dans un verger me ferait du bien.
[...]
Par la porte elle entre dans le verger
qui est conforme à ses désirs.
Au milieu du verger se trouvait une ente
chargée de fleurs et d'un riche feuillage
qui s'évasait largement vers le bas.
On avait conduit les branches
de façon qu'elles retombent vers le sol
et touchent presque terre,
tandis que la cime, au départ des branches,
s'élevait en droite ligne.
Fénice ne désire d'autre lieu,
car sous l'arbre était le pré,
plein d'agrément et de beauté:
le soleil n'est jamais si chaud
quand il est au plus haut, à midi,
qu'un de ses rayons y puisse passer.

Le chevalier au lion

Dans ce roman de chevalerie, autrement intitulé "Le roman d'Yvain", aucun jardin n'y est présent, seulement une fontaine magique où le héros devra affronter les forces de la nature.

Près d'ici tu vas tout de suite trouver
un sentier qui t'y ménera.
Va tout droit et suis-le bien,
si tu ne veux pas gaspiller tes pas,
car tu pourrais facilement te fourvoyer:
il y a bien d'autres chemins.
Tu verras la fontaine qui bout,
et qui est pourtant plus froide que du marbre.
Le plus bel arbre que la Nature
ait jamais pu faire lui donne de l'ombre.
Il garde son feuillage par tous les temps,
car nul hiver ne peut le lui faire perdre.
Il y pend un bassin en fer,
attaché à une chaine qui est si longue
qu'elle va jusqu'à la fontaine.
A coté de la fontaine, tu trouveras
un perron- tu verras bien de quelle sorte,
mais je ne saurais te le décrire,
car je n'en ai jamais vu de comparable-
et, de l'autre côté, une chapelle
qui est petite mais très belle.
[...]
Suivant ces conseils, le chevalier trouve la fontaine:
...il pouvait... être près de midi,
quand je vis l'arbre et la chapelle,
Quant à l'arbre, je puis vous assurer
que c'était le plus beau pin
qui est jamais poussé sur terre.
...
Je vis pendu à l'arbre le bassin,
de l'or le plus fin qui est jamais encor
été mis en vente sur quelque foire que ce soit.
Croyez-moi, la fontaine
bouillait comme de l'eau chaude.
Le perron était fait d'une seule émeraude
percée comme un tonneau,
et dessous il y avait quatre rubis,
plus flamboyants et plus vermeils
que le soleil au matin
quand il paraît à l'Orient.

Le Roman de la Rose

Son écriture

Ecrit en 4500 vers environ par Guillaume de Lorris, le "Roman de la rose" ne put être terminé à cause du décès de son auteur et ce n'est que quarante ans plus tard que Jean de Meung y apporta une seconde partie d'environ 19000 vers, dans des termes plus hardis que le fit son prédécesseur; jardin allégorique, il amenera une querelle avec des ecclésiastiques tels que Jean de Gerson, Pierre d'Ailly et Guillaume de Deguileville. Il sera également attaqué par Christine de Pizan pour sa misogynie et "moralisé" par Jean Molinet.
Bien que ce texte soit en vers, il est quelquefois considéré comme un roman.

Le jardin de la Rose

Le jardin appelé "verger" concentré de nature, est un carré entouré de murs crénelés; la seconde partie évoque un jardin rond, une nature abondante et confronte l'image du paradis à celle du jardin courtois.

photo photo photo
Les deux jardins du Roman de la Rose

Dans le dernier chapitre, Genius, le chapelain de la Nature y donne dans un sermon l'image du paradis chrétien.photo
le mariage d'Adam et Eve.
Augustinus

Après s'être endormi, l'auteur voit en songe une prairie magnifiques, couverte de fleurs et aux mille chants d'oiseaux, traversée par une rivière d'eau limpide.

Les oyseaulx qui tant se sont teuz
Pour l'iver qu'ils ont tous sentuz
Et pour le froit et diverses temps,
Sont en may et par le printemps
Si joyeulx qu'ils montent en chant;
Car leur cueur a de joie tant,
Qu'il leur convient chanter par force.
Le rossignol adonc s'efforce
De chanter et de faire joye;
Lors s'esvertuë et resjoye
Le papegault et la calendre:
Si convient jeunes gens entendre
A estre beaulx et amoureulx
Pour le temps bel et doulcereux.
[...]
Hors de ville euz talent d'aller,
Pour oyr des oyseaulx les sons,
Qui chantoient par les buissons
En ladite saison nouvelle;
Cousant mes manches à Vindelle
Alay tout seul en m'esbatant,
Et les oysillons escoutant
Qui de chanter moult s'engoissoient
Par les jardins qui fleurissoient
Jolis et gaiz pleins de lyesse,
Vers une riviere m'adresse,
Que je ouys pres d'illecques bruire;
Et ne me sceuz ailleurs déduire,
Fors que dessus ceste riviere
Qui d'ung tertre près et derriere
Descendant l'eau courant à roide,
Fresche, bruyant, et aussi froide
Comme ou comme fontaine,
Si estoit peu moindre que saine,
Mais elle estoit plus espanduë
Qu'onques mais je ne l'avoye veuë:
Celle eaue qui si bien seoit,
Si m'embellissoit et seoit,
En regardant le lieu paisant
De l'eaue belle et reluisant

Après savoir suivi la rivière, l'amant arrive en vue d'un "vergier".

Lors m'en allay parmi la prée
Tout contre val esbanoyant
Ce beau rivage costoyant;
Quant je feuz peu avant alé,
Si voy ung vergier grand et
Enclos d'ung haut mur bastillié,
Pourtrait dehors et entaillié
De maintes riches empraintures.
Les ymages et les paintures
Du mur voulentiers rimeray,
Comme maintenant vous diray
De ces ymages la semblance,
Ainsi que j'en ay remembrance.


Sur les murs, à l'extérieur, sont peintes les figures de la haine, de la félonie, de la convoitise, de l'avarice, de l'envie, de la tristesse, de la vieillesse, de l'hypocrisie et de la pauvreté qui n'ont aucun droit dans le monde de la courtoisie. La porte y est étroite et presque dérobée et semble ainsi un symbole de l'inaccessibilité du jardin et de la dame.
Ces figures seront pour l'alchimiste "les empeschemens" à la transmutation et Jacques Gohory fera une lecture alchimique de cette oeuvre; d'autre part, il affirmera que "Le livre de la fontaine périlleuse avec la chartre d'amours, autrement intitulé Le songe du verger" de Johannes Trithemius aurait inspiré les deux auteurs du "Le roman de la rose".

Enfin, l'Amant arrive à la porte du jardin que Oyseuse vient lui ouvrir.

Le maître de ces beaux jardins.
De la terre des Sarrazins
Il fit jadis venir les plantes
En ce verger si florissantes.
Quand tous ces arbres furent grands.
Ce mur, qu'avez dû voir céans,
Alors Déduit fit autour faire.
Et par dehors y fit pourtraire
Ces peintures et ces tableaux
Qui ne sont séduisants ni beaux.
Mais pleins de tristesse et misère.
Ainsi que l'avez vu naguère.
[...]

[...]
Lors j'entrai, sans plus dire un mot,
Par l'huis qu'Oyseuse ouvrit tantôt,
Dans cette terre enchanteresse.
Grande alors fut mon allégresse ;
Je crus être, je vous le dis.
Dans le terrestre Paradis.
Par sa beauté sans plus, du reste,
Ce séjour me semblait céleste,
Car il n'est point de paradis
Au ciel, comme il m'était avis,
Où douceurs nous soient réservées
Telles qu'ici les ai rêvées.

L'Amant alors qu'il n'a pas encore visité le jardin se croit arrivé au paradis et veut rencontrer Déduit.

Oncques n'avait goûté bonheur
Si pur qu'on cet instant mon cœur.
Et dans une extase infinie
Se plongeait mon àme ravie.
Oyseuse, alors j'ai reconnu
Quel service tu m'as rendu
Par cette douce jouissance.
Eternelle reconnaissance
Je te dois de m'avoir ouvert
Le guichet du beau verger vert!
[...]
De voir son maintien, son visage.
Lors donc, à droite je m'engage
Dans un sentier tout parfumé,
De menthe et de fenouil semé.
Tout près de là, suivant mon guide,
J'entrai dans un réduit splendide
Où le beau Déduit se trouvait.

Puis il rencontre une troupe de danseurs où Liesse mène une carole en l'honneur de Déduit. Courtoisie invite l'Amant à se joindre à eux. Amours, Beauté, Richesse, Largesse, Franchise, Courtoisie et Jeunesse en sont les autres danseurs. Et enfin...

Je pus de ce verger splendide
Visiter les beautés sans guide,
Et rêver sous ces beaux mûriers,
Ces pins, coudriers et lauriers.
[...]
Ce verger couvrait un espace
Carré dont chaque immense face
Formait des angles réguliers.
Fors les malfaisantes espèces,
Dont il n'y eût une ou deux pièces
Au verger, ou plus, s'il advient.
C'était pommiers, il m'en souvient.
Qui tous portaient pommes grenades,
Fruit excellent pour les malades,
Et puis noyers à grand' foison
Qui fruits portaient en la saison
Semblables à des noix muscades
Qui ne sont amères ni fades,
Entremêlés de beaux dattiers
Et de figuiers et d'amandiers;
Voire encor mainte bonne épice,
Clou de girofle et doux réglisse
Pourrait-on, cherchant avec soin,
Trouver, s'il en était besoin,
Graine de paradis nouvelle,
Citoal, anis ou cannelle
Et mainte épice complément
Choisi du repas d'un gourmand.
Puis en ce verger magnifique
Croît aussi le fruit domestique,
Pèches et coins et cerisiers,
Cormes, alises, noisetiers.
Châtaignes, noix, pommes et poires,
Nèfles, prunes blanches et noires.
De tous côtés dans ce jardin
Surgit le laurier, le haut pin.
Des gros ormes l'épais branchage,
Hêtres, charmes au clair feuillage.
Et l'olivier et le cyprès
Comme on n'en voit guère ici-près.
Coudriers droits, trembles et chênes,
Erables hauts, sapins et frênes.
Que vous irai-je encor notant?
D'arbres divers y avait tant.
Qu'avant d'en avoir dit le nombre.
J'ai peur que ce détail encombre.
Sachez aussi qu'avec grand art
On avait, et non par hasard.
Entre eux ménagé la distance
De cinq à six toises, je pense.
Mais de leurs verts rameaux l'ampleur,
Bravant du soleil la chaleur.
L'empêchait au sol de descendre
Dessécher l'herbe fine et tendre.
Sans que jamais pût son ardeur
Percer leur dôme protecteur.

                           suite...
Partout daims et chevreuils timides
Bondissaient, écureuils rapides
Escaladaient le tronc des pins,
Et tout le jour mille lapins
Jaillissaient hors de leur tanières,
Et de plus de trente manières
Se poursuivaient en tournoyant
Parmi le gazon verdoyant.
De tous côtés claires fontaines,
Sans crapauds ni bètes vilaines,
Coulaient sous le feuillage ombreux.
Ces ruisseaux étaient si nombreux
Que Déduit fit faire une foule
De petits tuyaux où s'écoule
Par maints canaux l'onde faisant
Un murmure doux et plaisant.
Entour ces ruisseaux et les rives
Des fontaines claires et vives
Frais et dru poussait le gazon.
Aussi coucher y pourrait-on
Sa mie ainsi que sur la coite,
Car la terre était douce et moite
Par la fontaine, et il venait
Tant d'herbe comme il convenait.
Mais moult embellissait l'affaire
Surtout le beau site dont l'aire
Donnait le jour à quantité
De fleurs et l'hiver et l'été.
Violette y avait trop belle
Et pervenche fraîche et nouvelle,
Et fleurs vermeilles et fleurs d'or
Et d'azur à merveille encor
La terre était toute émaillée.
Toute peinte et bariolée
De fleurs de diverses couleurs
Dont moult sont bonnes les odeurs.
Je ne vous tiendrai longue fable
De ce lieu plaisant, délectable;
Car du verger la grande beauté,
Les charmes, la fertilité
Ne se pourrait recenser guère;
Dès à présent je veux m'en taire.
....
En un lieu charmant j'arrivai
A la fin, et là je trouvai
Une fontaine pittoresque
A l'ombre d'un pin gigantesque.
Depuis Karles, fils de Pépin,
Jamais on ne vit si beau pin;
Au verger n'était si bel arbre.
Là, dans un blanc bassin de marbre
Par Nature avec art creusé,
Le flot clair était déversé.
Sur la pierre, je vis écrites.
Au bord amont, lettres petites
Qui disaient: Ici, sur ce bord,
Jadis le beau Narcisse est mort.

Le roman se poursuit en nous contant l'aventure de Narcisse qui en se mirant dans l'eau de la fontaine devient amoureux de son image, perdit la raison et mourut pour avoir refuser l'amour d'Echo. Puis après avoir rencontré sa rose il en sera amoureux sous les traits qu'Amour lui décoche.

Au miroir, entre mille choses.
J'élus rosiers chargés de roses
Qui se trouvaient en un détour
D'une haie enclos tout autour.
Ils me faisaient si grande envie
Qu'on m'eût en vain offert Pavie
Ou Paris, pour ne pas aller
Le plus gros buisson contempler.

Evrard de Conty

photoPoème allégorique inspiré du Roman de la Rose et rédigé vers 1400 par Evrard de Conty; "Le livre des Echecs amoureux moralisés" utilise la symbolique des dieux antiques et du jeu d'échecsphoto pour l'initiation d'un jeune prince; il traite ainsi des arts libéraux, de la conduite de sa vie sociale et amoureuse, "des mœurs et du gouvernement de la vie humaine." Chaque case du plateau porte le nom d'une vertu, d'une qualité ou d'un vice.
L’ouvrage s’achève sur une partie d’échecs symbolique, où les pièces du jeu représentent les protagonistes du Verger de Deduit.

Floire et Blanceflor

gravureCe roman eut un grand succès au Moyen-Age et fut édité en deux versions, l'une aristocratique, l'autre populaire. Il conte l'histoire d'un amour d'enfance contrarié par les parents du jeune homme à qui on fait croire que la jeune fille est décédée alors qu'elle a été vendue à l'étranger. Le jeune homme partira à sa quête qui le conduira dans le jardin du harem d'un émir où il sauvera Blancheflor in extremis en entrant dans la tour de l'émir caché dans un panier de roses rouges.

Le verger des parents de Floire
Le verger de l'émir
Le père de Floire a un verger
Où a planté la mandragore
Et toutes les herbes et les fleurs
Qui sont de diverses couleurs.
Les arbrisseaux y sont fleuris
Les oiseaux y chantent d'amour.
Le verger est grand et beau;
Il n'est pas au monde de plus précieux,
De toutes parts un mur le clôt
Tout peint or et azur;
Et au dessus de chaque créneau
Sont posés des oiseaux variés
Coulés et ciselés dans l'airain;
Quand il vente, ils poussent de hauts cris
Chacun à leur manière.
[...]
Qui est dedans et respire les odeurs
Et les épices et les fleurs
Et entend les oiseaux chanter
Avec douceur leur chant d'amour.
[...]
Au milieu jaillit une source
Qui est toujours claire et saine.
Des dalles carrées forment un canal
De bon argent clair comme cristal;
Un arbre au dessus planté
Plus beau ne vit homme qui soit né;
Parce qu'en tout temps il fleurit
On l'appelle l'arbre d'amour;
Une fleur naît quand l'autre tombe,
L'arbre est placé par grand art;
L'arbre, la fleur, tout est vermeil.
De magie, celui qui le planta
Avait grande science car l'artifice,
Je pense, était dans sa disposition.
Au matin, le soleil le frappe
Qui sort de l'orient vermeil,
Et avec lui soufflent deux vents
Qui modèrent la température,
Il est fait de cette magie
Qu'en tout temps, il est chargé de fleurs.
Le tombeau de Blancheflor
A la tête de ce tombeau
Un arbrisseau était planté;
Il portait de belles branches
Sans cesse garnies de fleurs;
Elles sont en tous temps chargées
De fleurs vermeilles et blanches.
On l'appelait: ébénier
Même aiu bûcher il ne brûlerait.
Au pied, du côté du soleil,
Il y avait un térébinthe vermeil.
Sous le ciel il y a si belle chose;
Plus bel était que fleur de rose.
Du côté droit était un chrêmier
Et du gauche, un balsamier;
Il y a en ce monde telle odeur
Qui vaille celle de leurs fleurs,
Car de l'un s'égouttait le chrême
Et de l'autre tombait le baume.
[...]
Toute la tombe était niellée
Et d'or d'Arabie, bien illustrée;
Les lettres étaient de fin or
Et leur lecture disait ceci:
"Ci-gît belle Blancheflor
Que Floire aima par amour."

                           suite...

Guillaume Deguileville

Chançonnetes de tres fines amouretes en Cantiques contenues

Dans ce long poème, Guillaume Deguileville nous montre un jardin inspiré du Cantique des cantiques, clos tel l'hortus conclusus qui est celui de la Vierge mais pourrait être aussi une célébration de l'Eglise.

Un jardin clos tu es vraiment,
Ma sœur, mon épouse, au printemps
Ainsi qu'en toute autre saison,
Jardin clos où bêtes sauvages
Ne trouveraient aucun chemin
Permettant d'abîmer ses fleurs,
Car il est des anges gardiens
Partout qui veillent au jardin
Toujours servi sincèrement,
Toujours opulent par ses fruits,
Toujours verdissant de vertus,
Ne cessant jamais de fleurir.

Le livre du pélerin de vie humaine

Sous ce titre, G. Deguileville raconte en 17750 vers, le pélerinage de l'auteur qui, en songe une nuit, voit dans un miroir, la Jérusalem céleste; il est aidé par "Grace de Dieu" qui lui remet un viatique et des armes pour effectuer son voyage.
En cours de route il rencontrera "Paresse la gouteuse, la boiteuse toute engourdie, l'estropiée..." qui sera l'occasion de faire appel au jardin.

Je suis celle qui fait venir
Sans bêcher chardons aux jardins,
Et pousser ronces et orties,
En chausse-trappes, sans semer.

Eustache Deschamps

Dans quelques balades, Eustache Deschamps se sert du modèle du jardin pour formuler une leçon de morale souvent adressée aux princes.

Sur lui-même
Il a seize ans que je suis ou vergier,
Ou tous viennent pour querir leur delis,
Et ou j'ay veu pluseurs boire et mangier,
Qui estoient lasches et afadis,
Prendre deduit, arrachier du doulz lis,
Planter ailleurs, et santé recevoir;
Mais en ce lieu suis tousjours maladis:
Onques n'y poy une flourette avoir.

Par tout ce temps ay servi au closier
De mon pouvoir, tant que suis envieillis,
Sanz riens avoir et sanz prandre loier;
D'un po du plant ay esté escondis
Du u doulz vergier, ou j'ay veu toudis
Mains cueillant fruit sanz fere leur devoir;
Et dont vient ce, doulz Dieu de paradis?
Onques n'y poy une flourette avoir.

Ce m'est trop dur comme g'y voy fauchier
A plane faulx les fleurs et les paquis,
Et que la sont saoul li estrangier
Soudainement, et sur l'erbe languis.
Helas! dont vient au closier tel advis?
Face qui l'a long temps servi sçavoir;
En ce vergier seray lors remeris:
Onques n'y poy une flourette avoir.
L'ENVOY
Princes, l'en doit cuer loial tenir chier
L'en donne a tel qui n'a mestier d'avoir.
En ce jardin dont j'ay voulu touchier,
Onques n'y poy une flourette avoir.

                           suite...
Contre la multiplicité des mauvaises herbes.
Je voy l'ortie et le chardon,
Le jonc marin et la sicue,
La cauppe treppe et le tendon,
Et toute herbe qui point et tue,
Ou qui a tout mal s'esvertue,
Que chascun veult prandre et avoir,
Planter, lever jusqu'a la nue:
Bonne herbe est mise en nonchaloir.

Je ne voy rose ne bouton,
Lavende, violette drue,
Marjolaine, basilicon,
Balme ne douce odeur en rue;
Le bon plan se détruit et mue:
Dont le blanc lis deviendra noir,
Par le faulx plan qui tout remue;
Bonne herbe est mise en nonchaloir.

Dont le beau jardin de renom
Duquel l'odeur fut loing sentue
Ne portera plus le fruit bon
Dont la gent estoit soustenue:
La terre sera povre et nue
Et tuit on fuiront ce manoir.
N'est ce pas grant desconvenue?
Bonne herbe est mise en nonchaloir.
L'ENVOY
Prince, ostez a vostre venue
Mauvais plant, s'il veut apparoir;
Bonne yert lors vovie tenue;
Bonne herbe est mise en nonchaloir.



Allégorie contre ceux qui élèvent les ignorants
Un jardinier qui un jardin avoit
Si grant, si bel, si doulz, si odourant,
D'arbres si bons, d'erbes, qu'om ne sçavoit
Que de tous fruis et de flours n'y eust plant;
Mais li chetis par folie fist tant
Que les antes et bons plant arracha,
Ronces y mist et de l'yerre y planta
Qui aux jardins et flourettes ont nuit,
Si qu'en brief temps tout bon arbre y seicha:
Qui chetif plant esleve, il se destruit.

Et quant li las ainsi son jardin voit,
De sa folour, mais a tart, se repent;
Les espines chascun jour arreschoit,
Mais d'orties et ronces y a tant,
Cauppetrapes et l'ierre qui pourprant
Qu'a l'essarber sa chevance gasta,
Et son jardin puis ne fructifia,

                           suite...
Ne plant n'y ot qui peust porter bon fruit.
Ainsi jardin et jardinier fina:
Qui chetif plant eslieve, il se destruit.

Tel figure ramener qui voulroit
Pourroit assez a moralité grant
De maint seignieur, qui ainsi se deçoit
Par eslever le chetif nonsaichant
Et le planter, esrachier le saichant
Et ainsi pert tout ce qui l'onoura;
Et au derrain l'un l'autre destruira.
Or advisent a ce toutes et tuit,
Et pour certain chascuns veoir pourra.
Qui chetif plant eslieve, il se destruit.
L'ENVOY
Princes, le plant qui bon fruit portera
De viel estoc, cilz vous proufitera;
Du plant villain d'espine qui poindra
Ne d'ortie branche ne plantez ja:
Qui chetif plant eslieve, il se destruit.

Le jardin de Pierre d'Ailly

Longtemps attribué à Jean de Gerson, le "Jardin amoureux de l'âme" de Pierre d'Ailly est la réponse d'un ecclésiastique au "Roman de la Rose". Edité sous divers titres, "Le jardin de vertueuse consolation", "Le jardin de dévotion" ou encore "Le jardin amoureux" est un cours de pratique spirituelle traité en un parcours initiatique à travers un "jardin d'amour" comportant seize ou dix-huit chapitres. Dès le début, l'auteur avertit le lecteur: "En labaye de devote religion fondee en ce mondain desert: c'est le jardin de vertueuse consolation ou le Dieu damours habite: c'est jardin gracieux ou habitte le doulx Jesus et auquel il appelle lame quant il dist ou livre des chansonnettes amoureuses. Dieu dict il a mon jardin ma doulce seur ma chiere espouse... mai elle ne peult si legierement courir ne si parfaitement querir , ne si hastivement trouver comme son cuer desire car les piez sont faibles et lasses et la voye est estroicte et aspre et le jardin ou son doulz amy habite est fermement enclos et bien fermez."
Le jardin est entouré du "mur de dure austerité, fondé sur profonde humilité eslevé par haute poureté fortiffié de patience et de benignité pour resister contre les hurs de adversité et contre les vents de prosperité."
C'est par un cheminement pénible fait de pénitence que l'âme parvient à sa porte gardée par Dame Obédience qui "tient les clefs de discretion, la verge de correction et le baston de pugnition. Les clefz pour clore et ouvrir pour faire les bons entrer et les mauvais yssir." Elle est assistée de quatre demoiselles représentant les quatre vertus cardinales: prudence, tempérance, force d'âme et justice qui accompagnent désormais l'ame entrée dans le jardin: "Lors voit la saincte ame paintures reluisans, herbes verdoyans, fleurs resplandissans, arbres ombraians, fruits reconfortans, fontaines bruians, oysillons chantans et amis et amies joyeusement et honnestement esbanoyans." [...]
"Mais de toutes ces choses qui tant sont plaisantes et belles la saincte ame regarde et considere premierement et moult diligemment les nobles paintures qui sont au mur du jardin si bien et si tres subtilement pourtraittes et figurees. La voit elles les oeuvres de la divine sapience, les merveilles de la saincte escripture, les ystoires de la Bible, les enseignemens des evangiles, les merveilleux miracles de jesucrist, les faitz des apostres, les victoires des martirs, les vertus des confesseurs, la belle et honneste vie des vierges chastes et sainctes, les ditz des sages et les exemples des sains preudhommes. [...]
miniature Apres ce que la saincte ame est par cette painture souffisamment endoctrinée elle procede plus avant au jardin pour sentir et flairer la tresplaisant odeur des herbes des fleurs et de la tres grande douceur des arbres et de leurs fruis [...] En ceste terre naissent les herbes de humble meditation, les arbres de haute contemplation, les fleurs de honneste conversation, les fruits de saincte perfection.... Elle se siet dessus la verdure des odoriferans herbes, elle se repose de soubz lombre des arbres, elle cueille les fleurs, elle gouste les fruitz, elle cueille la violette de vraye charite laquelle violette croist dessus lerbette de basse humilite et en fait un moult beau chapelet pour soy parer et pour mieulx plaire a son ami."

A ce stade, l'âme croit arriver au centre du jardin en découvrant l'Arbre de la Croix où la compassion, nouvelle source de souffrance, fera intervenir trois dames incarnant les trois vertus théologales qui la réconfortera. Enfin "La trouve la doulce fontaine de grace de laquelle sourdent et naissent sept ruisseaulx qui sont les sept sacrements de Jhesuchrist et sept aultres qui sont les sept dons du saint esperit. La treuve elle la doulce fontaine de misericorde qui se multiplie et despart en sept ruisseaulx qui sont sept auvres de misericorde espirituelles et sept autres qui sont les sept euvres de misericorde corporeles. Et quant ces ruisseaulx des sept euvres de misericorde passent par la fontaine de grace, il en sourt et sault une eaue moult roide et moult legiere: c'est leaue qui est vive saillant en vie pardurable si comme disoit Jesuchrist a la samaritaine."
miniature L'âme pérégrine arrive au but de son cheminement :"Ainsi prent la saincte ame doulce refection es fontaines et es ruisseaulx de ce jardin gracieux; mais moult lui accroissent son soulas et sa joye les doulz chans des oiseles volettans & chantans parmi le jardin. [...] Ce sont les oiseillons qui de terre volent au ciel en ostant les plumes de leurs cogitations hors de mondaine occupation et en mouvant les eles de leurs affections par divine meditation."
A la carole du "Roman de la rose" Pierre d'Ailly opposera les mélodies d'amour divin et de louanges: ainsi le visuel se transforme-t-il en chants et poésie et illustrera, et ce bien avant Beaumarchais, que "tout finit par des chansons".

Les jardins de Pétrarque

Francesco Petracca qui transforma son nom en Prétrarca, fut le premier auteur à se passionner pour les jardins. Il est considéré comme le premier humaniste.

tableauphoto

Lors de sa correspondance, Pétrarque aime parler de son jardin:

J'ai un petit jardin qui réveille ma flamme éteinte en renouvelant les doux soupirs de ma vie passée. Là, les fleurs printanières émaillent le gazon; au cœ de l'été, quand le soleil est au plus haut, vous trouvez mille ombrages; l'automne vous fournit des fruits délicieux; en hiver le soleil vous réchauffe de ses rayons. Les doux chants des oiseaux, à l'ombre, et leurs riantes couleurs vous égayent. La reine des chantres des bois, Philomène, y fait entendre ses accords. Mais un petit oiseau la surpasse par son gosier harmonieux. Je l'ai souvent remarqué en le voyant se cacher dans l'ombre au haut d'un arbre touffu. C'est un oiseau de toute beauté; je ne saurais lui donner son vrai nom, peut-être le lui donnerez-vous en lisant son portrait. Il a la tête noire et les ailes vertes; il aime à s'ébattre sous les pampres; jamais petit corps n'a eu plus de souffle et n'a su mieux charmer les oreilles. +

A Lélius (Lello, di Petro Stefano) gentlilhomme romain

 

gravure"Que dire de mon habitation?...J'ai acquis là deux jardins qui conviennent on ne peut mieux à mon goût et à mon plan de vie. Si j'essayais de les décrire, je n'en finirais pas. En somme, je doute que l'on trouve un tel site dans tout l'univers, .... J'appelle ordinairement l'un de ces jardins mon Hélicon transalpin, car situé dans un endroit élevé et garni d'ombrages, il n'est propre qu'à l'étude et il est consacré à notre Apollon. Il domine la source de la Sorgue et au delà, il n'y a que des rochers et des lieux non frayés accessibles seulement aux animaux sauvages et aux oiseaux. L'autre jardin, voisin de la maison, est plus agréable à l'œil et cher à Bacchus. Chose étonnante, il est situé au milieu de la rivière la plus rapide et la plus belle. Tout près de ce jardin s'élève une voûte séparée seulement par un petit pont du derrière de la maison.... C'est un lieu qui excite à l'étude, et j'imagine qu'il ressemble au petit portique où Cicéron avait coutume de déclamer...C'est donc sous cette voûte que je passe le milieu du jour; le matin, je me promène sur les collines; le soir dans les près et le jardin plus inculte près de la fontaine où l'art a vaincu la nature. Ce jardin est situé au haut d'un rocher et au milieu des eaux, dans un lieu étroit à la vérité mais plein d'ardents aiguillons, grâce auxquels mon esprit, tout paresseux qu'il est, peut s'élever aux plus sublimes méditations."

A Francesco Nelli, prieur de l'église des Saints-Apôtres à Florence.

 

L'aspect troublé de la ville et le doux amour d'une campagne charmante m'avaient poussé à visiter les eaux transparentes et la source admirable de la Sorgues, qui donne aux poètes un puissant aiguillon et au génie de vaillantes ailes. Là ou vous n'avez pas craint de rouler avec moi des pierres arrachées et d'amollir un champ des plus stériles, vous verriez maintenant un jardin émaillé de fleurs variées, la nature cédant au travail. Une partie est bordée par une rivière profonde et l'autre est entourée d'une montagne neigeuse aux roches escarpées dont les hauteurs s'opposent à l' Auster brûlant; c'est de là que se répand l'ombre vers le milieu du jour. Un côté nu ouvrirait un passage au tiède zépbir, mais un mur rustique l'en éloigne et barre l'accès aux troupeaux el aux hommes. Vous verriez les oiseaux aériens faisant leur nid à la cime des branches verdoyantes, les oiseaux fluvïatiles bâtissant le jour sur un écueil, les uns le tapissant de mousse, les autres de feuillage; la faible couvée s'agitant sous des ailes amies et prenant sa nourriture d'un bec tremblant. Les voûtes des grottes retentissent alors de chants harmonieux; d'un côté la couleur appelle les yeux, de l'autre le son attire les oreilles. Ces spectacles pleins d'un doux tumulte el le repos assaisonné d'un travail agréable calment l'esprit.

A Gulielmo di Pastrengo, légiste et humaniste véronais.

Sources

- Michel BARIDON- Les jardinsphoto - Paysagistes - jardiniers - poètes - Robert Laffont
- Guillaume de DEGUILEVILLE- Le livre du pèlerin de vie humainephoto - Le livre de poche- Lettres gothiques
- Christophe IMBERT - Philippe MAUPEU- Le paysage allégoriquephoto - Entre image mentale et pays transfiguré - Presses universitaires de Rennes
- Chrétien de TROYES- Erec et Enidephoto - Cligesphoto - Le chevalier au lionphoto ou le roman d'Yvain - Le livre de poche- Lettres gothiques
Sur le Web
- Pierre d'AILLY- Oœvres complètes
- Hélène BOUGET- Le miroir de vie et de mort Une enluminure du Vrigiet de Solas
- Eustache DESCHAMPS- Oœvres complètes
- Isabelle FABRE- Aspects de l'allégorie spirituelle au XVe siècle Je jardin amoureux de l'âme de Pierre d'Ailly
- Arthur LANGFORS- Notice du manuscrit français 9220 de la Bibliothèque nationale- et Le miroir de vie et de mort
- Guillaume de LORRIS & Jean de MEUNG- Le roman de la Rose et autre
- Galerie de brobert.
Ouvrages numérisés
- Jacques GOHORY- Le livre de la fontaine périlleuse avec la chartre d'amours: autrement intitulé, le songe du verger.
- François PETRARQUE- Lettres de Vaucluse

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