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Oui, c'est un pur miracle, que par des mots enterrés dans des livres,
l'on puisse raviver des sources, rafraîchir un jardin.
      Christian Bobin

Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d'aller vers de nouveaux paysages, mais d'avoir d'autres yeux...      Marcel Proust

Les jardins et la nature des écrivains grecs

Homère

photoÀ la mère de tous
photoJe célébrerai la Terre solide, mère antique de toutes choses, nourrice de tous les êtres épars sur le monde. Ils vivent tous de vos largesses, qu'ils rampent sur le sol, qu'ils habitent la mer ou qu'ils volent dans les airs. C'est par vous, déesse vénérable, que les hommes ont une nombreuse famille et qu'ils jouissent des fruits abondants, car c'est vous qui donnez et soutenez la vie des faibles mortels. Ceux que vous honorez sont heureux: toutes choses leur sont accordées avec largesse. Leurs champs sont couverts de moissons, leurs troupeaux se multiplient dans les pâturages; leurs maisons regorgent de biens; leurs villes fécondes en belles femmes obéissent à de sages lois; partout la richesse et la félicité les accompagnent. Ô déesse auguste, divinité bienfaisante! La jeunesse et les plaisirs animent les enfants de ceux que vous protégez. Leurs jeunes filles joyeuses forment des chœurs, et, couronnées de roses, conduisent leurs danses dans les prairies couvertes de fleurs. Salut, ô mère des dieux! épouse du ciel étoilé, daignez, dans votre bienveillance pour mes chants, m'accorder une vie heureuse; je ne vous oublierai jamais, et je vais dire un autre chant.
À Pan
mosaiqueMuse, célèbre le fils chéri d'Hermès, Pan aux pieds de chèvre, au front armé de deux cornes, aux sons retentissants, et qui, sous la fraîcheur du bocage, se mêle aux chœurs des Nymphes: celles-ci, franchissant les hautes montagnes, adressent leurs prières à Pan, dieu champêtre à la chevelure superbe mais négligée. Il reçut en partage les monts couverts de neiges et les sentiers rocailleux; il marche de tous côtés à travers les épaisses broussailles; tantôt il gravit les roches escarpées, et de leurs cimes élancées il se plaît à contempler les troupeaux. Souvent il s'élance sur les montagnes couronnées de blanches vapeurs; souvent, dans les vallons, il poursuit et immole les bêtes sauvages qui ne peuvent se dérober à ses regards perçants; d'autres fois, lorsque la nuit approche, seul, revenant de la chasse, il soupire sur ses chalumeaux un air mélodieux. L'oiseau qui sous la feuillée du printemps fleuri, répète d'une voix plaintive sa douce chanson ne l'emporte point sur cette divinité.
Alors se réunissent avec lui à pas pressés, auprès d'une fontaine profonde, les Nymphes des montagnes, à la voix éclatante. Écho fait résonner le sommet des monts; le dieu se mêle au hasard au chœur des danses, et sans les rompre les pénètre d'un pas léger; ses épaules sont couvertes d'une peau de lynx, son âme est réjouie par les accents mélodieux. Elles dansent ainsi dans une molle prairie où l'herbe touffue est embaumée du safran et de l'odorante hyacinthe. Dans leurs hymnes les Nymphes célèbrent et les dieux fortunés et le vaste Olympe, mais elles chantent surtout le bienveillant Hermès, rapide messager des dieux.
C'est lui qui vint dans l'Arcadie, source d'abondantes fontaines et féconde en troupeaux; là s'élève le champ sacré de Cyllène; en ces lieux, lui, dieu puissant, garda les blanches brebis d'un simple mortel, car il avait conçu le plus vif désir de s'unir à une belle nymphe, fille de Dryops. Leur doux hymen enfin s'accomplit: cette jeune nymphe donna le jour au fils d'Hermès, enfant étrange à voir, enfant aux pieds de chèvre, au front armé de deux cornes, aux sons retentissants, au sourire aimable. À cette vue la nourrice abandonne l'enfant et prend aussitôt la fuite; ce regard horrible et cette barbe épaisse l'épouvantèrent: mais le bienveillant Hermès le recevant aussitôt le prend dans ses mains, et son âme en ressentit une grande joie. Il arrive ainsi au séjour des Immortels en cachant soigneusement son fils dans la peau velue d'un lièvre de montagne: se plaçant devant Zeus et les autres divinités il leur montre le jeune enfant. Tous les Immortels se réjouissent à cette vue, surtout Dionysos. Ils le nommèrent Pan, car pour tous il fut un sujet de joie.
Salut, ô roi, je vous implore en ces vers; je me souviendrai toujours de vous, et je vais dire un autre chant.

À Dionysos
photoJe célébrerai ... le bruyant Dionysos, à la chevelure enlacée de lierre, fils illustre de Zeus et de Sémélé. Les Nymphes l'ayant reçu de son père, l'élevèrent et le placèrent sur leur sein et le nourrirent avec soin dans les vallons de Nysa. Par la volonté de Zeus, il grandit au fond d'une grotte parfumée, pour prendre place au rang des Immortels. Quand les Nymphes élevaient cet enfant illustre, couronné de lierre et de laurier, il parcourait les bois sauvages: les Nymphes le suivaient; il marchait devant elles; les immensités de la forêt résonnaient d'un grand bruit.
Salut, ô Dionysos! qui fécondâtes nos vignes; faites que toujours dans la joie nous parvenions à la fin de la saison, et qu'après cette saison nous arrivions encore à de nombreuses années.

Platon

photoL'Atlantide

Phédon est un dialogue de Platon qui raconte la mort de Socrate et ses dernières paroles. Quelques amis ont été autorisés à lui rendre visite dans sa cellule avant qu'il n'avale le poison. Au cours des échanges, Socrate leur confie un mythe:
Pour commencer, camarade, reprit Socrate, on dit que cette terre-là, vue d’en haut, offre l’aspect d’un ballon à douze bandes de cuir; elle est divisée en pièces de couleurs variées, dont les couleurs connues chez nous, celles qu’emploient les peintres, sont comme des échantillons. Mais, là-haut, toute la terre est diaprée de ces couleurs et de couleurs encore bien plus éclatantes et plus pures que les nôtres: telle partie de cette terre est pourprée et admirable de beauté, telle autre dorée, telle autre, qui est blanche, est plus brillante que le gypse et la neige, et il en est de même des autres couleurs dont elle est parée, et qui sont plus nombreuses et plus belles que celles que nous avons pu voir. Et en effet ces creux mêmes de la terre, étant remplis d’eau et d’air, ont une couleur particulière qui resplendit dans la variété des autres, en sorte que la terre se montre sous un aspect continuellement varié. A la qualité de cette terre répond celle de ses productions, arbres, fleurs et fruits. La même proportion s’observe dans les montagnes, dont les roches sont plus polies, plus transparentes et plus belles de couleur. Les petites pierres d’ici, tant prisées, les cornalines, les jaspes, les émeraudes et toutes les autres de même nature n’en sont que des parcelles; mais, là-bas, toutes les pierres sont précieuses et encore plus belles. Et la cause en est que les pierres de ces régions sont pures et ne sont pas rongées ni gâtées comme les nôtres par la putréfaction et la salure dues aux sédiments qui sont déversés ici, et qui apportent aux pierres, au sol et aux animaux et aux plantes la laideur et les maladies. Quant à la terre elle-même, outre tous ces joyaux, elle est encore ornée d’or, d’argent et des autres métaux précieux. Ils sont exposés à la vue, considérables en nombre et en dimension, et répandus partout, en sorte que cette terre offre un spectacle fait pour des spectateurs bienheureux.
Elle porte beaucoup d’animaux et des hommes, dont les uns habitent le milieu des terres, les autres au bord de l’air, comme nous au bord de la mer, d’autres dans des îles entourés par l’air, près du continent. En un mot, l’air est pour eux ce que l’eau et la mer sont ici pour notre usage, et ce que l’air est pour nous, c’est l’éther qui l’est pour eux. Leurs saisons sont si bien tempérées qu’ils ne connaissent pas les maladies et vivent beaucoup plus longtemps que ceux d’ici. Pour la vue, l’ouïe, la sagesse et tous les attributs de ce genre, ils nous dépassent d’autant que l’air l’emporte en pureté sur l’eau, et l’éther sur l’air. Ils ont aussi des bois sacrés et des temples que les dieux habitent réellement, et des voix, des prophéties, des visions de dieux, et c’est ainsi qu’ils communiquent avec eux. Ils voient aussi le soleil, la lune et les astres tels qu’ils sont, et le reste de leur bonheur est en proportion de tous ces avantages.
Telle est la nature de la terre en son ensemble et des objets qui s’y trouvent. Quant aux régions enfermées dans ses cavités, disposées en cercle dans tout son pourtour, elles sont nombreuses et tantôt plus profondes et plus ouvertes que la région que nous habitons, tantôt plus profondes, mais avec une ouverture plus étroite que chez nous, parfois aussi moins profondes et plus larges que notre pays. Mais toutes ces régions communiquent entre elles en beaucoup d’endroits par des percées souterraines, tantôt plus étroites, tantôt plus larges, et par des conduits à travers lesquels une grosse quantité d’eau coule de l’une à l’autre, comme dans des bassins. Il y a aussi sous terre des fleuves intarissables d’une grandeur incroyable qui roulent des eaux chaudes et froides, beaucoup de feu et de grandes rivières de feu; il y en a beaucoup aussi qui charrient une boue liquide, tantôt plus pure, tantôt plus épaisse, comme en Sicile les torrents de boue qui précèdent la lave et comme la lave elle-même. Les diverses régions se remplissent de ces eaux, selon que l’écoulement se fait vers l’une ou l’autre, chaque fois qu’il se produit. Toutes ces eaux se meuvent vers le haut et vers le bas, comme un balancier placé dans l’intérieur de la terre. Voici par quelle disposition naturelle se produit cette oscillation. Parmi les gouffres de la terre il en est un particulièrement grand qui traverse toute la terre de part en part.
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Xénophon

photoBien que né près d'Athènes, Xénophon rejoindra les Spartiates combattant en Asie Mineure commandés par Cyrus, le roi jardinier, contre Athènes
Elève et disciple de Socrate, aristocrate favorable à l'oligarchie, il fera l'éloge des cultivateurs, ces derniers faisant de loyals soldats; il écrira de nombreux ouvrages dont l'Economique où il fait l'éloge de l'agriculture.
Ce que je te dis là, Critobule, continua Socrate, n’est que pour t’apprendre que même les plus heureux des hommes ne peuvent se passer de l’agriculture. Sans contredit, le soin qu’on y apporte est une source de plaisir, de prospérité pour la maison, et d’exercice pour le corps, qu’elle met en état d’accomplir tous les devoirs d’un homme libre. Et d’abord, tout ce qui est essentiel à l’existence, la terre le procure à ceux qui la cultivent ; et les douceurs de la vie, elle les leur donne par surcroît. Ensuite, les parures des autels et des statues, celles des hommes eux-mêmes, avec leur cortège de parfums suaves et de délices pour la vue, c’est encore elle qui les fournit. Viennent encore mille aliments qu’elle produit ou qu’elle développe: car l’élève des troupeaux se lie étroitement à l’agriculture; de telle sorte qu’elle nous donne de quoi sacrifier pour apaiser les dieux et subvenir à nos propres besoins.
[...]
Est-il, en outre, un art qui, mieux qu’elle, rende apte à courir, à lancer, à sauter; qui paye d’un plus grand retour ceux qui l’exercent; qui offre plus de charmes à ceux qui s’y livrent; qui tende plus généreusement les bras à qui vient lui demander ce qu’il lui faut; qui fasse à ses hôtes un accueil plus généreux? En hiver, où trouver mieux un bon feu contre le froid ou pour les étuves qu’à la campagne? En été, où chercher une eau, une brise, un ombrage plus frais qu’aux champs? Quel art offre à la divinité des prémices plus dignes d’elle, ou célèbre des fêtes plus splendides? En est-il qui soit plus agréable aux serviteurs, plus délicieux pour l’épouse, plus désirable pour les enfants, plus libéral pour les amis? Quant à moi, je serais surpris qu’un homme libre cherchât une position plus attrayante, ou une occupation plus agréable et plus utile à la vie. Ce n’est pas tout: la terre enseigne d’elle-même la justice à ceux qui sont en état de l’apprendre; car ceux qui s’appliquent le plus à la cultiver, elle leur rend le plus de bienfaits.
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Cyrus, le roi jardinier
- Ce n’est pas tout, Critobule: quelque part qu’il séjourne, dans quelque pays qu’il aille, il veille à ce qu’il y ait de ces jardins, appelés paradis, qui sont remplis des plus belles et des meilleures productions que puisse donner la terre; et il y reste aussi longtemps que dure la saison d’été.
- Par Jupiter! dit Critobule, il faut donc, Socrate, que, partout où il séjourne, il veille à ce que les paradis soient parfaitement entretenus, pleins d’arbres et de tout ce que la terre produit de plus beau.
- On dit encore, Critobule, reprit Socrate, que quand le roi distribue des présents, il commence par appeler les meilleurs guerriers, parce qu’il est inutile de cultiver de grandes terres s’il n’y a pas d’hommes qui les protègent; puis il fait venir ceux qui savent le mieux rendre un terrain fertile, disant que les plus vaillants ne sauraient vivre s’il n’y avait pas de cultivateurs. On raconte, enfin, que Cyrus, qui fut un prince fort illustre, dit un jour à ceux qu’il avait appelés pour les récompenser, que lui aussi aurait droit aux deux prix; car il prétendait être le plus habile soit à cultiver ses terres, soit à défendre ses cultures.
- Cyrus, par conséquent, mon cher Socrate, dit Critobule, ne se glorifiait pas moins, s’il a dit cela, de rendre les terres fertiles et de les bien préparer, que d’être habile à la guerre.
[...]
"C’est ce même Cyrus qui, dit-on, lorsque Lysandre vint lui apporter des présents de la part des alliés, lui fit mille démonstrations d’amitié, ainsi que l’a raconté jadis Lysandre lui-même à l’un de ses hôtes de Mégare, et le fit promener avec lui dans son paradis de Sardes. Lysandre s’extasiait devant la beauté des arbres, la symétrie des plants, l’alignement des allées, la précision des rectangles, le nombre et la suavité des parfums qui faisaient cortège aux promeneurs; et, tout plein d’admiration: " Oui, Cyrus, dit-il, j’admire toute ces beautés; mais ce que j’admire le plus, c’est celui qui t’a dessiné et ordonné tout cela." En entendant ces mots, Cyrus fut charmé, et lui dit:. "Eh bien, Lysandre! c’est moi qui ai tout dessiné, tout ordonné; il y a même des arbres, ajouta-t-il, que j’ai plantés moi-même." Alors Lysandre, jetant les yeux sur lui, et voyant la beauté de ses vêtements, sentant l’odeur de ses parfums, frappé de l’éclat de ses colliers, de ses bracelets, de toute sa parure, s’écria: "Que dis-tu, Cyrus? C’est bien toi qui, de tes propres mains, as planté quelqu’un de ces arbres?" Alors Cyrus: "Cela te surprend, Lysandre? lui dit-il. Je te jure par Mithra que, quand je me porte bien, je ne prends jamais de repos avant de m’être couvert de sueur, en m’occupant de travaux militaires ou de tout autre exercice." Alors Lysandre, lui serrant la main: "C’est à bon droit, Cyrus, dit-il, que tu me sembles heureux: homme vertueux! tu mérites ton bonheur."
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Diodore de Sicile

L'on doit à Diodore de Sicile, la description des jardins suspendus de Babylone.

Il y avait dans la citadelle un jardin suspendu, mais Sémiramis n'y a point de part et il a été fait par un roi syrien du nombre de ses successeurs, en faveur d'une courtisane. Comme elle était de Perse où l'on voit des prés et des vergers jusque sur les montagnes, elle inspira au roi d'imiter à Babylone par les efforts de l'art cet agrément de la Perse. Les côtés de ce jardin qui était carré avaient chacun quatre arpents de longueur. On y arrivait en montant et l'avenue en était bordée de part et d'autre de bâtiments convenables, ce qui lui donnait l'air d'un théâtre. Les degrés ou plutôt les plates-formes par lesquelles on y montait étaient soutenues par des arcades qui servaient aussi à porter le poids du jardin. Ces arcades s'élevaient presque insensiblement les unes au-dessus des autres. Mais enfin la dernière était de cinquante coudées de haut et soutenait le devant du jardin qui gardait ensuite un parfait niveau dans toute son étendue. Il était posé sur des espèces de piliers d'une solidité extrême puisqu'ils avaient vingt-deux pieds d'épaisseur en carré. Comme ils n'étaient distants les uns des autres que de dix pieds, on avait jeté de l'un à l'autre des blocs de pierre de seize pieds de long et de quatre pieds d'épaisseur. Ces pierres soutenaient un plancher ou une première couche de roseaux liés avec une grande quantité de bitume; une seconde couche, qui était double, de briques cuites liées avec du plâtre et une troisième couche de plomb pour empêcher que l'humidité de la terre qu'on mettrait dessus ne pénétrât jusqu'aux murs. On y en avait porté une si grande quantité que sa hauteur suffisait aux racines des plus grands arbres. Le jardin en contenait en effet un grand nombre de toutes les espèces qui étaient d'une grandeur et d'une beauté surprenante. Comme le jour entrait librement par dessous les arcades, on avait pratiqué entre les piliers plusieurs chambres magnifiques où l'on pouvait manger. Un seul des murs était creux depuis le haut jusqu'en bas. C'est celui dans l'épaisseur duquel on avait placé des pompes qui descendaient dans le fleuve et qui apportaient jusque dans le jardin toute l'eau dont on pouvait avoir besoin pour l'arroser de sorte que du dehors on n'apercevait rien de toute cette construction. Mais comme nous l'avons déjà dit, ce jardin était postérieur à Sémiramis. Cette reine avait bâti plusieurs autres villes le long de l'Euphrate et du Tigre dans lesquelles elle avait établi des entrepôts pour toutes les marchandises qui venaient de la Médie, de la Paratacéne et des pays circonvoisins.

Bibliothèque historique - II, 10

Les recherches archéologiques n'ont découvert aucune trace de ces palais à Babylone et de nombreux chercheurs ont pensé qu'il y eut confusion avec Ninive. Des recherches récentes ont confirmées que ces jardins suspendus se situaient à Ninive.

Achille Tatius

On sait fort peu de chose sur Achille Tatius, l'auteur présumé de Leucippe et Clitophon. Photius, dans sa revue des romanciers grecs, le cite immédiatement avant Héliodore, ce qui, vu la ressemblance des deux ouvrages, donnerait à supposer que celui-ci l'a imité. Selon l'auteur de la notice figurant en tête de l'ouvrage, ils auraient puisé l'un et l'autre dans un fonds commun et coulé leur fable dans un moule banal. C'était, dit-il, la mode alors d'amuser les imaginations avec un imbroglio de naufrages, d'enlèvements, d'aventures merveilleuses, de rencontres fortuites soit avec des brigands, soit avec des animaux extraordinaires, le tout entremêlé de descriptions de fêtes et de sacrifices. Tatius se serait contenté de suivre le chemin ouvert devant lui. Son livre ne mériterait donc pas qu'on le réimprimât, s'il ne se distinguait des œuvres du même genre par des qualités qui lui constituent une véritable originalité. Cette oeuvre en huit livres serait en quelque sorte l'ancêtre du roman-feuilleton! Ainsi le héros Clitophon raconte: ...je me hâtai de retourner auprès de la jeune fille que je trouvai dans le jardin de la maison, vrai bosquet d'un sublime aspect, contenu en quatre murs de bonne hauteur, sur lequel s'appuyait un toit supporté par une suite de colonnes. L'enceinte contenait, des arbustes les plus variés, dont les verts rameaux entrelacés retombaient l'un sur l'autre, enroulant leur feuillage et mariant leurs fruits dans une tendre familiarité. Autour des arbres les plus élevés croissaient le lierre et le liseron. Celui-ci pendait aux branches des platanes, emmélant à leur feuillage son abondante et légère couronne. Enroulé autour du pin, le lierre se confondait avec le tronc qu'il enserrait et verdissait l'arbre qui lui servait de soutien. Çà et là des vignes, appuyées à des tiges de roseaux, étalaient leur verdure; leurs grappes fleuries se balançaient à la treille comme les ondes d'une belle chevelure. Agité par le vent et traversé par les rayons du soleil, le feuillage émaillait le sol de son ombre aux reflets d'argent. Un tapis de fleurs variées déployait sa magnificence. Le narcisse et la rose sortaient, rouges tous deux, d'un même calice, mais les pétales qui s'en détachaient différaient de couleur: ceux de la rose, pourpres au bord, prenaient à leur racine les teintes de la violette et du lait; tandis que ceux du narcisse gardaient cette dernière nuance. Ailleurs l'azur d'une mer dont aucun souffle ne ride la face colorait la violette au ras de terre. Parmi les fleurs naissait une source; un bassin carré retenait ses eaux, dans lesquelles se miraient les fleurs. Vous auriez dit deux bosquets, le réel et celui que l'onde réfléchissait. Le bocage était peuplé d'oiseaux, les uns domestiques, apprivoisés par la main nourricière de l'homme, les autres libres dans leur essor et voltigeant à la cime des arbres. Les uns charmaient l'oreille de leur chant; l'étincelante parure des autres éblouissait les yeux. La cigale chantait la couche d'Aurore et l'hirondelle le festin de Térée. Comme oiseaux familiers, le paon, le cygne et le perroquet. Le cygne trouvait sa subsistance près de la source, le perroquet dansait dans sa cage suspendue à un arbre et le paon déroulait ses plumes parmi les fleurs, plumes et fleurs rivalisaient de coloris et d'éclat.

Longus

Longus, auteur grec, est connu pour son unique oeuvre Daphnis et Chloé.

Le jardin de Philétas

tableau Le bon homme Philétas, enfants, c'est moi, qui jadis ai chanté maintes chansons à ces Nymphes, maintefois ai joué de la flûte à ce Dieu Pan que voici, grand troupeau de bœufs gouvernois avec la seule musique et m'en viens vers vous à cette heure, vous déclarer ce que j'ai vu et annoncer ce que j'ai ouï. "Un jardin est à moi, ouvrage de mes mains, que j'ai planté moi- même, affié, accoutré depuis le temps que pour ma vieillesse, je ne mène plus les bêtes aux champs. Toujours y a dans ce jardin tout ce qu'on y sauroit souhaiter selon la saison; au printemps des roses, des lis, des violettes simples et doubles; en été du pavot, des poires, des pommes de plusieurs espèces; maintenant qu'il est automne, du raisin, des figues, des grenades, des myrtes verts; et y viennent chaque matin à grandes volées toutes sortes d'oiseaux, les uns pour y trouver à repaître, les autres pour y chanter; car il est couvert d'ombrage, arrosé de trois fontaines, et si épais planté d'arbres, que qui en ôteroit la muraille qui le clôt, on diroit à le voir que ce seroit un bois.

Le verger de Lamon

Vrai est que le verger de soi étoit une bien belle et plaisante chose, et qui tenoit fort de la magnificence des rois. Il s'étendoit environ demi-quart de lieue en longueur, et étoit en beau site élevé, ayant de largeur cinq cents pas, si qu'il paroissoit à l'œil comme un carré allongé. Toutes sortes d'arbres s'y trouvoient, pommiers, myrtes, mûriers, poiriers ; comme aussi des grenadiers, des figuiers, des oliviers, en plus d'un lieu de la vigne haute sur les pommiers et les poiriers, où raisins et fruits mûrissant ensemble, l'arbre et la vigne entre eux sembloient disputer de fécondité. C'étoient là les plants cultivés ; mais il y avoit aussi des arbres non portant fruit et croissant d'eux-mêmes, tels que platanes, lauriers, cyprès, pins ; et sur ceux- là, au lieu de vigne, s'étendoient des lierres, dont les grappes grosses et déjà noircissantes contrefaisoient le raisin. Les arbres fruitiers étoient au dedans vers le centre du jardin, comme pour être mieux gardés, les stériles aux orées tout alentour comme un rempart, et tout cela clos et environné d'un petit mur sans ciment. Au demeurant tout y étoit bien ordonné et distribué, les arbres par le pied distants les uns des autres ; mais leurs branches par en haut tellement entrelacées, que ce qui étoit de nature sembloit exprès artifice. Puis y avoit des carreaux de fleurs, desquelles nature en avoit produit aucunes et l'art de l'homme les autres ; les roses, les œillets, les lis y étoient venus moyennant l'œuvre de l'homme ; les violettes, le narcisse, les marguerites, de la seule nature. Bref, il y avoit de l'ombre en été, des fleurs au printemps, des fruits en automne, et en tout temps toutes délices.
tableau On découvroit de là grande étendue de plaine, et pouvoit-on voir les bergers gardant leurs troupeaux et les bêtes emmi les champs; de là se voyoit en plein la mer et les barques allant et venant au long de la côte, plaisir continuel joint aux autres agréments de ce séjour. Et droit au milieu du verger, à la croisée de deux allées qui le coupoient en long et en large, y avoit un temple dédié à Bacchus avec un autel tout revêtu de lierre et le temple couvert de vigne. Au dedans étoient peintes les histoires de Bacchus ; Sémèle qui accouchoit, Ariane qui dormoit, Lycurgue lié, Penthée déchiré, les Indiens vaincus, les Tyrrhéniens changés en dauphins, partout des Satyres gaîment occupés aux pressoirs et à la vendange, partout des Bacchantes menant des danses. Pan n'y étoit point oublié, ains étoit assis sur une roche, jouant de sa flûte, en manière qu'il sembloit qu'il jouât une note commune, et aux Bacchantes qui dansoient, et aux Satyres qui fouloient la vendange.
Le verger étant tel d'assiette et de nature, Lamon encore l'approprioit de plus en plus, ébranchant ce qui étoit sec et mort aux arbres, et relevant les vignes qui tomboient. Tous les jours il mettoit sur la tête de Bacchus un chapeau de fleurs nouvelles; il conduisoit l'eau de la fontaine dedans les carreaux où étoient les fleurs; car il y avoit dans ce verger une source vive que Daphnis avoit trouvée, et pour ce l'appeloit-on la fontaine de Daphnis, de laquelle on arrosoit les fleurs.

Traduction de J. Amyot

Sources

- Michel BARIDON- Les jardinsphoto - Paysagistes - jardiniers - poètes - Robert Laffont
- Laure de CHANTAL- Bibliothèque Idéale des pierres, plantes et paysagesphoto - - Les Belles Lettres
Sur le Web
Ouvrages numérisés
- Philippe REMACLE- Diodore de Sicile: Bibliothèque historique- Homère: Hymnes homériques- Xénophon: Economique
- LONGUS- Daphnis et Chloé.

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