Il n'est pas pour moi d'occupation plus délicieuse que la culture de la terre... et pas de culture comparable à celle du jardin... Mais, bien que je sois un vieil homme, je ne suis qu'un jeune jardinier.
Thomas Jefferson- Garden book, 1824
'hortus du temps des origines de Rome, humble terre nourricière est célébrée par Pline qui regrette que de son temps, la nourriture des Romains soit devenue tributaire des pays conquis et alimente leurs besoins superflus.
Maintenant il nous reste à revenir à la culture des jardins, qui se recommande et par elle-même, et par ce que l'antiquité a admiré avant tout les jardins des Hespérides, ceux de rois Adonis et Alcinoüs, et ces jardins suspendus ouvrage soit de Sémiramis, soit de Cyrus, roi d'Assyrie, ...). Les rois de Rome ont eux-mêmes cultivé des jardins. C'est, en effet, de son jardin que Tarquin le Superbe renvoya à son fils ce message cruel et sanguinaire. *
Dans la loi des Douze Tables on ne trouve nulle part le mot de villa; c'est toujours hortus qui a cette signification; le mot heredium y désigne le jardin. Des idées religieuses se sont même attachées à ce genre de propriété, et nous voyons que c'est seulement au jardin et au foyer que l'on consacre, pour se préserver des maléfices, des figures de satyre: toutefois Plaute met les jardins sous la protection de Vénus. Aujourd'hui on possède dans Rome même, sous le nom de jardins, des lieux de plaisance, des campagnes, des villas. L'usage en a commencé à Athènes par Épicure, maître en fait de vie oisive: jusqu'à lui on n'avait pas su habiter la campagne à la ville. A Rome le jardin était le champ du pauvre.
C'était du jardin que le peuple tirait ses provisions; et combien cette frugalité épargnait de maux! Mais sans doute il vaut mieux se plonger dans les abîmes de la mer, aller choisir les huitres au risque du naufrage...
[...]
N'est-on pas aller imaginer une différence même dans les herbes? Et la richesse n'a t-elle pas fait une distinction dans un mets qui ne se vend qu'un as? Là encore il y a des productions qui ne sont pas accessibles au peuple des tribus; il y a des choux tellement engraissés que la table du pauvre ne peut les contenir. La nature avait voulu que les asperges fussent sauvages, afin que chacun les cueillit partout: mais voilà des asperges cultivées, et Ravenne en produit dont trois pèsent une livre. Ô prodige de la gastronomie!
[...]
Caton vante les choux des jardins. C'était d'après la culture des jardins que tout d'abord les anciens agriculteurs étaient appréciés; et l'on jugeait incontinent que la mère de famille (car ce soin appartenait à la femme) était mauvaise ménagère quand le jardin était mal soigné, attendu qu'il fallait vivre alors du marché aux légumes, ou du marché à la viande. Mais ce n'étaient pas les choux que les anciens estimaient par-dessus tout, comme on fait aujourd'hui; ils condamnaient un aliment qui ne se mange pas seul: c'était épargner l'huile. Quant au garum, on eût été blâmé rien que pour le désirer.
Ce qui faisait aimer les jardins, c'est qu'ils n'exigeaient pas de feu et économisaient le bois, offrant des mets toujours prêts et sous la main. Ces mets, qui se nomment acetaria, sont faciles à digérer, n'alourdissent pas l'intelligence, et excitent très peu le désir du pain. Les assaisonnements qu'ils fournissaient témoignent de l'usage de ne pas recourir à autrui, et de se passer du poivre de l'Inde, et de tout ce que nous allons chercher au delà des mers. Autrefois le peuple de la ville, entretenant à en fenêtres des espèces de jardins, présentait aux yeux une image continuelle de la campagne, avant que les brigandages horribles d'une multitude innombrable eussent forcé à griller tous les jours des maisons.
Qu'on accorde donc aux jardins quelque honneur, et que ces choses, pour être communes, n'en soient pas moins estimées, d'autant plus que de grands personnages y ont pris des surnoms: dans la famille Valéria, les Lactucinus ne se sont pas crus déshonorés pour devoir le leur à la laitue. Peut-être aussi notre travail et nos efforts trouveront-ils quelque gré, Virgile lui-même ayant avoué qu'il est difficile d'ennoblir par le langage des objets si petits.
Le jardin doit être annexé à la maison de campagne, cela n'est pas douteux; et il faut l'avoir aussi arrosé que possible par l'eau d'une rivière, s'il en est une qui le baigne, sinon par l'eau d'un puits tirée à l'aide d'une roue, d'une pompe ou d'une bascule. On ouvrira le sol dès que le Favonius commencera de souffler, quatorze jours après, on le préparera pour l'automne; et on lui donnera une autre façon avant le solstice d'hiver. Huit journaliers sont nécessaires pour bêcher un jugère; le fumier sera mêlé avec la terre à une profondeur de trois pieds; on divisera le jardin en planches, ou couches à bords relevés; chacune sera côtoyée par un sentier qui donne accès au jardinier et écoulement aux eaux.
Il ne faut pas non plus faire tort à Ludius, du temps du dieu Auguste : celui-ci, le premier, imagina de décorer les murailles de peintures charmantes, y représentant des maisons de campagne, des portiques, des arbrisseaux taillés, des bois, des bosquets, des collines, des étangs, des euripes, des rivières, des rivages, au souhait de chacun : des personnages qui se promènent ou qui vont en bateau, ou qui arrivent à la maison rustique, soit sur des ânes, soit en voiture; d'autres pêchent, tendent des filets aux oiseaux, chassent, ou même font la vendange. On voit dans ces peintures de belles maisons de campagne, dont l'accès est marécageux ; des gens qui portent des femmes sur leurs épaules, et qui ne marchent qu'en glissant et en tremblant; et mille autres sujets de ce genre plaisants et ingénieux. Le même artiste a le premier décoré les édifices non couverts (hypaethres, promenoirs) de peintures représentant des villes maritimes qui font un effet, très agréable et à très peu de frais.
Mais il n'y a de gloire que pour les artistes qui ont peint des tableaux, et c'est ce qui rend encore plus respectable la prudence de l'antiquité. En effet, alors les murs et les maisons ne s'ornaient pas pour les seuls possesseurs, de peintures qui fixées en un lieu ne pouvaient être sauvées d'un incendie. Protogène se contentait d'une cabane dans son jardin; il n'y avait point de peintures sur les crépis d'Apelle; on ne s'était pas avisé de peindre des murailles retirées.
Reprenant le procédé d'Hésiode des vers hexamètres dactyliques, ordinairement utilisés pour l'épopée , Ovide rassemble dans les Métamorphoses plusieurs centaines de récits courts sur ce thème issus des mythologies grecque et romaine. Il fait le récit des origines et de la création, puis de l'âge d'or:
Inspiré par mon génie, je vais chanter les êtres et les corps qui ont été revêtus de formes nouvelles, et qui ont subi des changements divers. Dieux, auteurs de ces métamorphoses, favorisez mes chants lorsqu'ils retraceront sans interruption la suite de tant de merveilles depuis les premiers âges du monde jusqu'à nos jours.
[...]
À peine tous ces corps étaient-ils séparés, assujettis à des lois immuables, les astres, longtemps obscurcis dans la masse informe du chaos, commencèrent à briller dans les cieux. Les étoiles et les dieux y fixèrent leur séjour, afin qu'aucune région ne fût sans habitants. Les poissons peuplèrent l'onde; les quadrupèdes, la terre; les oiseaux, les plaines de l'air.
Un être plus noble et plus intelligent, fait pour dominer sur tous les autres, manquait encore à ce grand ouvrage. L'homme naquit: et soit que l'architecte suprême l'eût animé d'un souffle divin, soit que la terre conservât encore, dans son sein, quelques-unes des plus pures parties de l'éther dont elle venait d'être séparée, et que le fils de Japet, détrempant cette semence féconde, en eût formé l'homme à l'image des dieux, arbitres de l'univers; l'homme, distingué des autres animaux dont la tête est inclinée vers la terre, put contempler les astres et fixer ses regards sublimes dans les cieux. Ainsi la matière, auparavant informe et stérile, prit la figure de l'homme, jusqu'alors inconnue à l'univers.
L'âge d'or commença. Alors les hommes gardaient volontairement la justice et suivaient la vertu sans effort. Ils ne connaissaient ni la crainte, ni les supplices; des lois menaçantes n'étaient point gravées sur des tables d'airain; on ne voyait pas des coupables tremblants redouter les regards de leurs juges, et la sûreté commune être l'ouvrage des magistrats.
Les pins abattus sur les montagnes n'étaient pas encore descendus sur l’océan pour visiter des plages inconnues. Les mortels ne connaissaient d'autres rivages que ceux qui les avaient vus naître. Les cités n'étaient défendues ni par des fossés profonds ni par des remparts. On ignorait et la trompette guerrière et l'airain courbé du clairon. On ne portait ni casque, ni épée; et ce n'étaient pas les soldats et les armes qui assuraient le repos des nations.
La terre, sans être sollicitée par le fer, ouvrait son sein, et, fertile sans culture, produisait tout d'elle-même. L'homme, satisfait des aliments que la nature lui offrait sans effort, cueillait les fruits de l'arbousier et du cornouiller, la fraise des montagnes, la mûre sauvage qui croît sur la ronce épineuse, et le gland qui tombait de l'arbre de Jupiter. C'était alors le règne d'un printemps éternel. Les doux zéphyrs, de leurs tièdes haleines, animaient les fleurs écloses sans semence. La terre, sans le secours de la charrue, produisait d'elle-même d'abondantes moissons. Dans les campagnes s'épanchaient des fontaines de lait, des fleuves de nectar; et de l'écorce des chênes le miel distillait en bienfaisante rosée.
Ceci était dans mes voeux: un champ de non grande étendue, un jardin, une source d'eau vive voisine de la maison et un petit bois surtout. Les Dieux ont fait mieux et plus: c'est bien. Je ne te demande rien de plus, fils de Maia, que de m'assurer la possession de leurs dons. Si je n'ai point agrandi ma richesse par des moyens déshonnêtes, si je ne la dissipe point non plus par mes vices ou par ma négligence, si je ne fais jamais de ces prières insensées: Oh! puissé-je posséder ce coin de terre qui déforme mon petit champ! oh! puisse le sort me montrer une urne d'argent, comme à celui qui, ayant découvert un trésor et riche par l'amitié de Herculès, acheta pour lui-même le champ qu'il labourait en mercenaire! si ce que je possède me plaît et me suffit, je t'adresse cette prière: Fais que mon troupeau engraisse, et le reste, à l'exception de mon esprit; et, selon ta coutume, sois mon meilleur gardien.
Lorsque je me suis retiré de la ville dans mes montagnes et dans ma citadelle, que célébrerais-je avant tout par mes satires et ma muse pédestre? Là, une funeste ambition ne me travaille point, ni l'Auster de plomb, ni le dangereux automne dont profite la cruelle Libitina.
Ce court extrait ci-dessus servira à Horace d'introduire le conte du "rat des villes et le rat des champs" que La Fontaine réutilisera dans ses fables.
Ici, le poète, dans une épitre teintée d'épicurisme et de stoïcisme, fait l'éloge de la vie à la campagne:
Horace, ami des champs, à Fuscus, ami de la ville, salut. C'est sur ce point seul que nos goûts diffèrent; sur tout le reste nous sommes presque jumeaux. Ce que l'un veut, l'autre le veut aussi; ce que l'un rejette est également rejeté par l'autre: semblables à deux frères étroitement unis par la conformité de leurs penchants, ou à ces deux vieux pigeons dont vous connaissez l'histoire. Comme l'un d'eux, vous aimez et gardez le nid; moi, je préfère un ruisseau qui court dans un agréable vallon, la mousse qui couvre les rochers, l'ombre et la solitude des bois. Que voulez-vous? je jouis de la vie et d'une souveraine indépendance, dès que j'ai quitté tout ce qui vous charme dans la ville, et ce que, par une sorte de concert, vous vantez à l'envi et élevez jusqu'aux nues. Tel que l'esclave d'un prêtre échappé de la maison de son maître, je suis dégoûté des gâteaux. C'est du pain bis qu'il me faut, et je le préfère à toutes les friandises assaisonnées de miel.
Si notre but, mon cher Fuscus, est de vivre de la manière la plus conforme à la nature; s'il faut, comme pour poser les fondements d'une maison, choisir d'abord un emplacement convenable, en est-il de plus favorable à ce dessein qu'une campagne heureusement située? en est-il où les hivers soient plus doux, ou de frais zéphyrs tempèrent plus agréablement les ardeurs de la Canicule et les fureurs du Lion irrité par les feux du soleil? en est-il où les cruels soucis de l'envie troublent moins le repos et le sommeil? Les fleurs des champs flattent-elles moins la vue et l'odorat que les marbres de vos monuments? l'eau qui, dans vos rues, s'efforce de rompre les canaux de plomb où elle est emprisonnée, est-elle plus fraîche et plus pure que celle qui suit avec un doux murmure la pente naturelle d'un ruisseau?
Mais quoi! à Rome même, vous voulez que des forêts s'élèvent parmi vos colonnes de marbre; vous vantez la situation d'une maison d'où la vue embrasse au loin de vastes campagnes. Tel est l'empire de la nature: vous la chassez avec violence, elle revient, se glisse à travers les injustes dédains que vous lui opposez, et finit par en triompher. Le marchand ignorant qui, trompé par le faux éclat des laines teintes à Aquinum, les confond avec la pourpre de Tyr, ne commet pas une erreur plus fatale, plus contraire à ses vrais intérêts, que l'homme qui ne sait pas discerner le vrai d'avec le faux. Celui qu'enivrent les faveurs de la fortune se laissera abattre par le vent de l'adversité. Si vous vous attachez passionnément à un objet, la perte vous en sera très sensible. Fuyez l'éclat et les grandeurs: on peut, sous un humble toit mener une vie plus heureuse que les rois et les favoris des rois.
Le cerf, abusant de sa supériorité, chassa, dit-on, le cheval de leurs communs pâturages. Vaincu après un long combat, le cheval implora le secours de l'homme et se soumit au frein. Bientôt vainqueur et triomphant, il chassa à son tour son ennemi; mais sa bouche ne put s'affranchir du mors, ni son dos du cavalier qui l'a subjugué. Ainsi l'homme qui, redoutant la pauvreté, sacrifie sa liberté, plus précieuse que l'or, rampera sous un maître, et sera toujours esclave, pour n'avoir pas su borner ses désirs au simple nécessaire. Une fortune qui, trop grande ou trop petite, n'est pas proportionnée aux besoins de celui qui la possède, est comme une chaussure qui, trop étroite, blesse le pied de son maître, trop large, le fait trébucher. Contentez-vous de votre sort, mon cher Fuscus; vous serez heureux et sage. Je vous conjure surtout de ne pas m'épargner vos réprimandes, si jamais vous surprenez en moi une avidité qui amasse sans cesse et au delà de mes besoins. L'or est notre tyran ou notre esclave: il faut que la raison, loin de s'en laisser dominer, le domine et en règle l'usage. Telles sont les pensées que je vous adresse, assis auprès du vieux temple de la déesse qui préside au repos et aux loisirs des habitants de la campagne. Là, rien ne manque à mon bonheur, si ce n'est la présence d'un ami tel que vous.
ans un pays désormais en paix et pour inciter les Romains à revenir à la terre, quelque peu abandonnée durant les conflits, Virgile, encouragé par Mécène, écrivit "les Géorgiques" en véritable épicurien, il chante le bonheur de vivre simplement au sein de la nature. L'épisode du vieillard de Tarente revêt ainsi le sage philosophique que Delille mettra en vers: lire
Ainsi je me souviens d'avoir vu, au pied des tours de la haute ville d'Œbalos, là où le Galésus arrose de ses eaux noires des campagnes aux moissons blondissantes, un vieillard de Corycus qui possédait quelques arpents d'une terre abandonnée: elle n'était ni propre au travail des bœufs, ni propice au bétail, ni même agréable à Bacchus. Cependant notre homme avait planté entre des ronciers, quelques légumes en lignes que bordaient des lis blancs, des verveines et des pavots: content de sa fortune, il égalait sa richesse à celle des rois, et quand tard dans la soirée, il rentrait au logis, il chargeait sa table de mets qu'il n'avait point achetés. Le premier il cueillait la rose du printemps et les fruits de l'automne; et quand le triste hiver faisait encore par le froid éclater les pierres et de sa glace immobilisait les eaux courantes, lui déjà émondait la chevelure de la souple hyacinthe, accusant l'été de son retard et les zéphyrs de leur lenteur. Aussi le premier il avait en abondance abeilles fécondes et nombreux essaims, il pressait les rayons pour en extraire le miel écumant ; pour lui les tilleuls et le pin donnaient à foison, et autant l'arbre fertile, en sa parure de fleurs nouvelles, avait promis de fruits, autant il portait encore de fruits mûrs à l'automne. Il transplanta aussi pour les mettre en lignes des ormes déjà grands, le poirier déjà dur, des épines donnant déjà des prunelles, et le platane fournissant déjà son ombrage aux buveurs. Mais je sens que je m'emporte hors de l'étroit espace de mon sujet; je laisse là les jardins; d'autres achèveront de les chanter.
Bonheur des paysans
O trop fortunés, s'ils connaissaient leurs biens, les cultivateurs! Eux qui, loin des discordes armées, voient la très juste terre leur verser de son sol une nourriture facile. S'ils n'ont pas une haute demeure dont les superbes portes vomissent tous les matins un énorme flot de clients venus pour les saluer; s'ils ne sont pas ébahis par des battants incrustés d'une belle écaille, ni par des étoffes où l'or se joue, ni par des bronzes d'Éphyré; si leur laine blanche n'est teinte du poison d'Assyrie, ni corrompue de cannelle l'huile limpide qu'ils emploient; du moins un repos assuré, une vie qui ne sait point les tromper, riche en ressources variées, du moins les loisirs en de vastes domaines, les grottes, les lacs d'eau vive, du moins les frais Tempé, les mugissements des boeufs et les doux sommes sous l'arbre ne leur sont pas étrangers. Là où ils vivent sont les fourrés et les repaires des bêtes sauvages, une jeunesse dure aux travaux et habituée à peu, le culte des dieux et le respect des pères; c'est chez eux qu'en quittant les terres la Justice laissa la trace de ses derniers pas.
Le poète aspire à vivre à la campagne
Pour moi, veuillent d'abord les Muses, dont la douceur, avant tout m'enchante et dont je porte les insignes sacrés dans le grand amour que je ressens pour elles, accueillir mon hommage et me montrer les routes du ciel et les constellations, les éclipses variées du soleil et les tourments de la lune;... Mais si, pour m'empêcher d'aborder ces mystères de la nature, un sang froid coule autour de mon coeur, puissent du moins me plaire les campagnes et les ruisseaux qui coulent dans les vallées et puissé-je aimer sans gloire les fleuves et les forêts! ...
Calme et pureté de la vie rurale
Heureux qui a pu connaître les causes des choses et qui a mis sous ses pieds toutes les craintes, et l'inexorable destin, et le bruit de l'avare Achéron! Mais fortuné aussi celui qui connaît les dieux champêtres, et Pan, et le vieux Silvain, et les Nymphes soeurs! Celui-là, ni les faisceaux du peuple, ni la pourpre des rois ne l'ont fléchi, ni la discorde poussant des frères sans foi, ni le Dace descendant de l'Ister conjuré, ni les affaires de Rome, ni les royaumes destinés à périr; celui-là ne voit autour de lui ni indigents à plaindre avec compassion, ni riches à envier. Les fruits que donnent les rameaux, ceux que donnent d'elles-mêmes les bienveillantes campagnes, il les cueille sans connaître ni les lois d'airain ni le forum insensé ni les archives du peuple.
[...]
Le laboureur fend la terre de son areau incurvé: c'est de là que découle le labeur de l'année; c'est par là qu'il sustente sa patrie et ses petits enfants, ses troupeaux de boeufs et ses jeunes taureaux qui l'ont bien mérité. Pour lui, point de relâche, qu'il n'ait vu l'année regorger de fruits, ou accroître son bétail, ou multiplier le chaume cher à Cérès, et son sillon se charger d'une récolte sous laquelle s'affaissent ses greniers. Vient l'hiver: les pressoirs broient la baie de Sicyone; les cochons rentrent engraissés de glandée; les forêts donnent leurs arbouses, et l'automne laisse tomber ses fruits variés, et là-haut, sur les rochers exposés au soleil, mûrit la douce vendange. Cependant ses enfants câlins suspendus à son cou se disputent ses baisers; sa chaste demeure observe la pudicité; ses vaches laissent pendre leurs mamelles pleines de lait, et ses gros chevreaux, cornes contre cornes, luttent entre eux sur le riant gazon. Lui aussi a ses jours de fête, où, allongé sur l'herbe, tandis qu'au milieu brûle un feu sacré et que ses compagnons couronnent les cratères, il t'invoque, Lénéen, avec une libation, puis invite les gardiens du troupeau à lancer un rapide javelot sur la cible d'un orme et à dépouiller leurs corps rudes pour la palestre champêtre.
Telle est la vie que menèrent jadis les vieux Sabins, telle fut celle de Rémus et de son frère. Ainsi assurément grandit la vaillante Étrurie; ainsi Rome devint la merveille du monde et seule dans son enceinte renferma sept collines. Même avant que le roi du Dicté eût pris en main le sceptre, et avant qu'une race impie se fût nourrie de la chair des taureaux égorgés, telle fut la vie que menait sur les terres Saturne d'or: on n'avait point alors entendu encore souffler dans les clairons, ni sur les dures enclumes crépiter les épées.
Dans les "Bucoliques", il met en scène deux bergers aux destins antithétiques: Tityre, esclave affranchi, qui exprime son bonheur, et Mélibée, propriétaire dépossédé qui se lamente et devra s'exiler:
Mélibée- 0 Tityre! étendu sous l'abri de ce hêtre touffu, tu essaies des airs champêtres sur ton léger chalumeau; et nous, exilés de notre patrie, nous quittons ses douces campagnes; nous fuyons la patrie! toi, Tityre, mollement couché sous l'ombrage, tu apprends aux forêts à redire le nom de la belle Amaryllis.
Tityre-
0 Mélibée! c'est un dieu qui nous a fait ce loisir; oui, toujours il sera un dieu pour moi; son autel sera souvent arrosé du sang d'un tendre agneau sorti de ma bergerie. C'est lui qui a permis à mes génisses d'errer en liberté, comme tu le vois, et à moi-même de jouer sur ma flûte rustique les airs que je voudrais.
Mélibée- Je ne suis point jaloux de ton bonheur; mais il m'étonne: tant de troubles agitent nos campagnes! Moi-même, faible et malade, j'emmène mes chèvres loin de ces lieux; en voici une, Tilyre, qui a peine à me suivre. Ici, parmi ces épais coudriers, elle vient de mettre bas et de laisser, hélas! sur une roche nue deux jumeaux, l'espoir de mon troupeau. Ce malheur, si mon esprit n'eût été aveuglé, souvent, je m'en souviens, les chênes frappés de la foudre me l'annoncèrent; souvent, du creux de l'yeuse, la corneille sinistre me l'a prédit. Mais enfin ce dieu, quel est-il, Tytire, dis-le-moi?
Tityre- La ville qu'on appelle Rome, ô Mélibée, je la croyais, dans ma simplicité, semblable à la ville voisine, où nous avons coutume, nous autres bergers, de conduire nos tendres agneaux. Ainsi je voyais les jeunes chiens ressembler à leurs pères, les chevreaux à leurs mères; ainsi aux petites choses je comparais les grandes. Mais Rome élève autant la tête parmi les autres villes que les cyprès parmi les viornes flexibles.
Mélibée- Et quel motif si puissant te conduisait à Rome?
Tityre- La liberté, qui, bien que tardive, me regarda, dans mon insouciance, d'un œil favorable, quand ma barbe tombait déjà blanchie sous le rasoir; enfin, après une longue attente, elle m'a souri, et elle est venue, depuis qu'Amaryllis me tient sous sa loi et que Galatée m'a quitté. Car je l'avouerai, tant que j'appartins à Galatée, je n'avais ni espoir de liberté ni soin de mon pécule. En vain de mes étables sortaient de nombreuses victimes; en vain pour une ville ingrate je pressurais mon plus pur laitage: jamais je ne revenais au logis les mains chargées d'argent.
Mélibée-
Et je m'étonnais si, toujours triste, Amaryllis, tu invoquais les dieux ! si tu laissais pendre à l'arbre les fruits mûrs ! Tityre était absent. Ah ! Tityre, ces pins, ces fontaines, ces arbrisseaux t'appelaient.
Tityre- Que faire? Je ne pouvais autrement sortir d'esclavage ni espérer ailleurs des dieux aussi favorables. C'est là que je l'ai vu, ô Mélibée! ce jeune héros pour qui chaque année, douze fois sur nos autels, fume l'encens; là, qu'à ma prière il a répondu; "Faites paître vos génisses comme auparavant; soumettez au joug vos taureaux."
Mélibée- Heureux vieillard! ainsi tes champs, tu les conserveras! ils sont assez grands pour toi, bien que resserrés par un rocher stérile et par un marais qui les couvre de joncs limoneux. Tes brebis pleines n'auront point à souffrir d'une pâture inaccoutumée, et, devenues mères, elles ne craindront pas la contagion d'un troupeau voisin. Heureux vieillard! ici, sur la rive du fleuve que tu connais, près des fontaines sacrées, tu respireras la fraîcheur de l'ombrage épais. Tantôt, sur cette haie qui borde ton héritage, l'abeille du mont Hybla viendra butiner la fleur du saule, et par son léger bourdonnement, t'inviter au sommeil; tantôt, au pied de cette roche élevée, le vigneron, en effeuillant sa vigne, fera retentir l'air de ses chansons, tandis que les ramiers, tes amours, ne cesseront de roucouler, et la tourterelle de gémir sur la cime aérienne de l'ormeau.
Tityre- Aussi l'on verra dans les plaines de l'air paître les cerfs légers, la mer abandonner les poissons à sec sur le rivage; et, changeant de pays, le Parthe exilé boira les eaux de l'Arar, et le Germain celles du Tigre, avant que son image s'efface de mon cœur.
Mélibée- Mais nous, exilés de ces lieux, nous irons les uns chez l'Africain brûlé par le soleil, les autres dans la Scythie, ou en Crète, sur les bords de l'Oaxe rapide, ou chez les Bretons séparés du reste de l'univers. Oh! jamais, après un long exil, après plusieurs moissons, ne reverrai-je le sol de ma patrie et le toit rustique de ma pauvre chaumière, jamais ce petit champ qui formait mon royaume? Un soldat impie possédera ces terres cultivées avec tant de soin? un Barbare, ces moissons? Voilà où la discorde a conduit nos malheureux citoyens! voilà pour qui nous avons ensemencé nos champs! Va maintenant, Mélibée, greffer tes poiriers, aligner tes ceps! Et vous, troupeau jadis heureux, allez, mes chèvres, allez! étendu dans une grotte verdoyante, je ne vous verrai plus de loin suspendues aux flancs d'une roche buissonneuse. Désormais plus de chants. Non, vous n'irez plus, sous ma conduite, brouter le saule amer et le cytise fleuri.
Tityre- Cependant cette nuit, tu peux encore la passer avec moi sur un lit de feuillage. Nous avons des fruits mûrs, des châtaignes tendres et du fromage en abondance. Déjà, du faîte des chaumières, s'élève au loin la fumée, et, du haut des montagnes, les ombres descendent plus grandes dans la plaine.
Paul Valéry reprendra ces églogues en les publiant en alexandrins non rimés et en 1958, Marcel Pagnol les proposera en une traduction rimée.
e rerum natura, plus souvent appelé "De natura rerum", est un poème en six livres, du poète philosophe Lucrèce qui vécut dans la Rome antique au Ier siècle avant notre ère. Il constitue une traduction en vers totalisant 7 400 hexamètres utilisés traditionnellement pour le genre épique, de la doctrine d’Épicure.
Mais rien n'est aussi doux que d'établir sa vie Sur les calmes hauteurs de la philosophie, Dans l'impassible fort de la sérénité, De voir par cent chemins l’errante humanité Chercher, courir, lutter de force et de génie, Consumer en labeurs la veille et l'insomnie, Monter de brigue en brigue aux échelons derniers, Et s'asseoir au sommet des choses, sous nos pieds! Ah ! misérables cœurs, aveugles que nous sommes ! Quels dangers, quelle nuit profonde, pauvres hommes, Environnent ce peu qu'est la vie ! Et pourtant, La Nature, voyez, n'en demande pas tant: Le bien-être du corps et le repos de l'âme; Ni douleur, ni terreur ; et c'est tout. Que réclame Le corps pour être exempt de tous maux? La santé. Quant aux raffinements, lits de la volupté, La Nature s'en passe, et la raison comme elle. |
A d'autres ces palais où l'opulence mêle Aux nocturnes festins, au bruit des chœurs, au chant Des cithares, l'éclat des vaisselles d'argent, La splendeur des parois de bronze et d'or vêtues Et les lampes en feu dans la main des statues ! Nous, sur le frais tapis d'une herbe épaisse, aux bords D'un ruisseau, mollement nous étendons nos corps. Qu'importe à nos loisirs la richesse des marbres, Quand le printemps nous rit à travers les grands arbres Et sur l'herbe répand la parure des fleurs ! La pourpre, les lits peints d'éclatantes couleurs Sur le feu de la fièvre ont-ils plus de puissance Que le rude grabat du peuple? La naissance Et le commandement suprême et les trésors Sont des remèdes vains contre les maux du corps. Lucrèce- De la nature- II - 9,40 |
Texte mis en vers par André Lefèvre- Société d'éditions Littéraires-1899.
Oui, je rends surtout grâce à la nature, lorsque, non content de ce qu'elle montre à tous, je pénètre dans ses plus secrets mystères; lorsque je m'enquiers de quels éléments l'univers se compose; quel en est l'architecte ou le conservateur; ce que c'est que Dieu; s'il est absorbé dans sa propre contemplation, ou s'il abaisse parfois sur nous ses regards; si tous les jours il crée ou s'il n'a créé qu'une fois; s'il fait partie du monde, ou s'il est le monde même; si aujourd'hui encore il peut rendre de nouveaux décrets et modifier les lois du destin, ou si ce ne serait pas descendre de sa majesté et s'avouer faillible que d'avoir à retoucher son œuvre. Il doit en effet aimer toujours les mêmes choses, celui qui ne saurait aimer que les choses parfaites; non qu'il soit pour cela moins libre ni moins puissant; car il est lui-même sa nécessité. Si l'accès de ces mystères m'était interdit, aurait-ce été la peine de naître? Pourquoi alors me féliciterais-je de compter parmi les vivants? Pour n'être qu'un filtre à passer des aliments et des boissons, pour étayer ce corps maladif et inconsistant qui périt, si je cesse de le remplir; faut-il vivre en garde-malade, et craindre la mort, pour laquelle nous naissons tous? Otez-moi l'inestimable jouissance de ces études, l'existence vaut-elle tant de sueurs, tant d'agitations? Oh! que l'homme est petit, s'il ne s'élève pas au-dessus des choses humaines. [...] Elle est magnifique cette vertu où nous aspirons, non que ce soit proprement un bien d'être exempt du vice, mais parce que cela agrandit l'âme, la prépare à la connaissance des choses célestes, et la rend digne de participer à l'existence divine.
La plénitude et le comble du bonheur pour l'homme, c'est de fouler aux pieds tout mauvais désir, de s'élancer dans les cieux, et de pénétrer les replis les plus cachés de la nature. Avec quelle satisfaction, du milieu de ces astres où vole sa pensée, il se rit des mosaïques de nos riches, et de notre terre avec tout son or, non pas seulement de celui qu'elle a rejeté de son sein et livré aux empreintes monétaires, mais de celui qu'elle garde en ses flancs pour la cupidité des âges futurs! Pour dédaigner ces portiques, ces plafonds éclatants d'ivoire, ces forêts pendantes sur nos toits, ces fleuves contraints de traverser des palais, il faut avoir embrassé le cercle de l’univers, et laissé tomber d'en haut un regard sur ce globe étroit, en grande partie submergé, tandis que ce qui surnage est au loin sauvage, brûlant ou glacé. Voilà donc, se dit le sage, le point que tant de nations se partagent le fer et la flamme à la main! Voilà les mortels avec leurs risibles frontières!
[...]
J'ai vu par là que les vices de notre siècle ne sont pas d'hier, mais remontent, par une déplorable tradition, aux temps les plus reculés, et que ce n'est pas de nos jours seulement que l'avidité, fouillant les veines de la terre et des rochers, y chercha ce que leurs ténèbres nous cachaient mal. Nos ancêtres aussi, héros dont nous célébrons les louanges, dont nous gémissons d'avoir dégénéré, ont, dans un cupide espoir, coupé des montagnes, ont vu le gain sous leurs pieds et des roches; croulantes sur leurs têtes. Avant le Macédonien Philippe, il s'est trouvé des rois qui, poursuivant l'or jusque dans les plus profonds abîmes, et renonçant à l'air libre, s'enfonçaient dans ces gouffres où n'arrive plus rien qui distingue le jour de la nuit, et laissaient, loin derrière eux la lumière. Quel était donc ce grand espoir? Quelle impérieuse nécessité a courbé, a enfoui l'homme, fait, pour regarder les cieux? Qui l'a pu plonger au sein même et dans les entrailles du globe pour en exhumer l'or non moins dangereux à poursuivre qu'à posséder? C'est pour de l'or qu'il a creusé ces longues galeries, qu'il a rampé dans les boues autour d'une proie incertaine, qu'il a oublié le soleil, oublié cette belle nature dont il s'exilait! Sur quel cadavre la terre pèse-t-elle autant que sur ces malheureux jetés par l'impitoyable avarice sous ces masses gigantesques, déshérités du ciel, ensevelis dans les profondeurs qui recèlent ce poison fatal? Ils ont osé descendre au milieu d'un ordre de choses si nouveau pour· eux, sous ces terres suspendues; des vents qui souillaient au loin dans le vide, d'effrayantes sources dont les eaux ne coulaient pour personne, une épaisse et éternelle nuit; ils ont, tout bravé, et ils craignent encore les enfers!
Mais quelle n'est pas la bienveillance de la nature qui, pour nous alimenter, produit en quantité des fruits si variés et si délicieux, et cela non pas au même moment de l'année, mais de façon que nous ayons constamment un plaisir nouveau à goûter et une récolte nouvelle à faire ! Avec quelle opportunité, quel profit non seulement pour les hommes mais pour les bêtes et pour la végétation soufflent les vents étésiens qui empêchent la chaleur de devenir excessive et rendent aussi plus sûres et plus rapides les traversées maritimes. Il faut passer beaucoup d'exemples sous silence. Je ne peux parler en détail des cours d'eau bienfaisants, de la mer qui tantôt se gonfle et s'avance et tantôt se retire, des montagnes qui se revêtent de forêts et d'herbages, des salines situées à une grande distance des rivages marins, des plantes médicinales qui garnissent le sol, des innombrables productions utiles à notre entretien et nécessaires à la vie. À elle seule l'alternance régulière du jour et de la nuit est une condition favorable à la santé des vivants qui ont ainsi un temps marqué pour l'action, un autre pour le repos. Ainsi, quel que soit le point de vue où l'on se place, on arrive à cette conclusion qu'une intelligence et un calcul divins ont présidé à l'arrangement merveilleux de ce monde, pour la conservation et le salut de tous ses habitants. On demandera ici pour quels êtres tant de dispositions s'étendant à tant d'objets ont pu être prises. Est-ce en faveur des arbres et des végétaux en général qui, bien que dépourvus de sentiment, possèdent une sorte d'activité interne qui les fait se maintenir en vie? Mais cela est absurde. Est-ce en faveur des bêtes? Il n'est pas plus probable que les dieux aient pris tant de peine pour des êtres muets et sans connaissance. Pour qui donc le monde a-t-il été fait, qui nous le dira? Pour les êtres animés qui ont la raison en partage. Ce sont les dieux et les hommes au-dessus desquels il n'y a rien, car la raison est de toutes choses celle qui vaut le plus. Il est donc à croire que le monde, avec tout ce qu'il contient a été fait pour les dieux et pour les hommes.
Caton, issu de la petite paysannerie vante les valeurs traditionnelles qui ont fait la grandeur de Rome: la simplicité, la rigueur dans le travail et s'oppose aux nouveautés venues de Grèce. Dans son ouvrage De agri cultura il n'oubliera pas qu'il est aussi censeur, magistrat chargé de l'impot et de veiller aux bonne moeurs.
Pour Caton l'ancien, le bon citoyen romain est avant tout un bon agriculteur ou un bon colon et il écrira: "C'est parmi les cultivateurs que naissent les meilleurs citoyens et les soldats les plus courageux." une idée que l'on retrouve chez Xénophon, le grec.
Nous avons abandonné la faux et la charrue pour aller nous établir dans l'enceinte des villes, et Varron reprochait déjà à nos aïeux "les mains qui applaudissent dans les théatres et les cirques laissent reposer les guerets et les vignobles".
La terre qui est peu éloignée des villes veut être plantée en vergers; le bois ou les ramilles peuvent ou être vendues, ou être réservées pour l'usage du maître. Voici ce qu'il faut semer dans cc même terrain, et quelle espèce de vigne il faut marier aux arbres: c'est le grand et le petit aminéen, et l'apicien. On conserve ces raisins dans des pots noyés au milieu des mares, ou dans du vin cuit, ou dans du moût, ou bien dans de la piquette. Ceux que vous suspendrez seront les raisins à graines fermes, et les gros aminéens.
On peut également les sécher au foyer d'un forgeron, aussi bien qu'au soleil. Les fruits seront les pommes de coing, la cognasse des Cantius, les Quiriniennes, et d'autres fruits de garde, tel les que les pommes vineuses et les grenades.
Pour que ces fruits ne tombent point prématurément, on enfouira au pied des arbres de l'urine ou du fumier de porc. Les poires seront celles d'Anicius, (et des semailles excellentes confites dans du vin cuit), la tarentine, la vendange et la courge. Plantez aussi et greffez bon nombre d'autres espèces, des olives orchites, et posiennes, qui sont les meilleures à confire, soit entières dans la saumure, soit meurtries dans l'huile de lentisque. Dès que les orchites seront noires et sèches, saupoudrez-les de sel que vous secouerez cinq jours après; exposez-les au soleil pendant deux jours, ou bien mettez-les dans du vin cuit sans les saler. Lorsque vous voudrez conserver des cormes, soit par la dessiccation, soit dans une infusion de vin cuit, faites-les bien sécher auparavant : agissez de même pour les poires.
arron, devenu grand propriétaire, possèda des terres à Cumae, Tusculum et Casinum où il pratique un luxueux et lucratif élevage avicole. Il parcourt souvent ses propriétés qui produisent notamment des figues et du miel; il élève également des troupeaux de moutons.
Dans son De re rustica, il s'adresse à Fundanius, son beau-père et fait intervenir, C. Agrius, chevalier romain, de la doctrine de Socrate, et le publicain P. Agrasius; souvent il se réfère à Caton et en préambule il déclare: Je commencerai donc par invoquer Jupiter et Tellus, dont la puissance embrasse le Ciel, la Terre, et tout ce que produit l’un et l’autre; parce que ce sont les générateurs de l’humanité, et que nous leur donnons les noms de père et de mère. J’invoquerai en second lieu le Soleil et la Lune dont nous observons le cours quand il s’agit d’ensemencer ou de récolter; en troisième lieu, Cérès et Bacchus, puisque les fruits qu’ils nous donnent sont indispensables à la vie. C’est par eux que la terre nous fournit aliments et boisson. En quatrième lieu, j’invoquerai le dieu Robigus et la déesse Flore, puisque l’un préserve de la rouille les blés et les arbres, et que l’autre les fait fleurir à temps: d’où les fêtes robigales en l’honneur de Robigus, et les jeux floraux en l’honneur de Flore. J’invoquerai encore Minerve et Vénus, dont l’une veille sur les plants d’oliviers, et l’autre préside au jardinage. C’est en leur honneur qu’on institua les fêtes appelées rustica vinalia. Enfin j’adresserai mes prières à la déesse Lympha et au dieu Bonus Eventus: car de même que sans l’eau toute végétation est chétive et misérable, de même sans le bon succès point de culture qui vienne à bien.
Après avoir fait l'éloge de l'Italie et partagé des propos concernant l'agriculture, Varron, à travers les paroles de Fundanius, condamne les nouveautés de son époque: Les constructions, dit Fundanius, influent sans contredit beaucoup sur le rapport, quand elles sont conçues suivant l’intelligente simplicité de nos ancêtres, plutôt que suivant les idées de luxe d’aujourd’hui. On travaillait alors en vue de l’utile; on ne songe maintenant qu’à satisfaire aux fantaisies les plus extravagantes. Alors le propriétaire avait de grands bâtiments de ferme, et se logeait en ville à l’étroit. C’est généralement le contraire aujourd’hui. A cette époque, une métairie était citée quand elle avait de vastes étables, un bon office, des celliers à vin et à huile proportionnés à la grandeur du fond, avec un plancher incliné venant aboutir à un réservoir; précaution d’autant plus nécessaire, que la fermentation du vin nouveau brisant souvent les tonneaux d’Espagne et même les futailles d’Italie, le vin se trouvait recueilli dans cette espèce de récipient. C’est ainsi que nos ancêtres avaient soin de pourvoir une métairie de tout ce qui répondait aux besoins de la culture. Aujourd’hui, au contraire, on ne vise qu’à rendre l’habitation du maître aussi vaste et aussi élégante que possible. On rivalise de luxe avec ces villas que les Métellus et les Lucullus ont élevées pour le malheur de la République. De nos jours, le point essentiel est d’exposer au vent frais de l’Orient les salles où l’on prend les repas pendant l’été, et au couchant celles où se tiennent les festins pendant l’hiver. Nul ne songe à donner une exposition convenable aux fenêtres des celliers à vin et à huile, ainsi que le faisaient nos ancêtres; ce qui est fort important, puisque le vin, renfermé dans les tonneaux, a besoin de fraîcheur, tandis que l’huile demande un air plus chaud. Ajoutons qu’une colline est, sauf empêchement, l’emplacement le plus convenable à l’établissement d’une ferme.
et dans la même veine, dénonce la mode grecque des jardins.*
Nos grands aïeux avaient bien raison de mettre l’homme des champs au-dessus de l’homme des villes. En effet, autant les habitudes d’une maison de plaisance semblent oiseuses à nos campagnards, s’ils les comparent à la laborieuse agitation d’une ferme, autant cette première existence paraissait-elle active à nos ancêtres auprès de la paresse des citadins. Aussi avaient-ils partagé leur temps de façon à ne donner aux affaires de la ville que deux jours sur neuf, consacrant les sept autres exclusivement aux occupations rurales. Tant qu’ils sont restés fidèles à cette coutume, ils y ont gagné sous deux rapports: d’abord leurs champs rapportaient davantage, et eux-mêmes se portaient mieux. En second lieu, ils pouvaient se passer de ces gymnases de toute espèce dont le raffinement des Grecs a rempli leurs maisons de villes, et qu’il nous faut avoir, nous, maintenant dans nos demeures, depuis le premier jusqu’au dernier. On ne croirait pas avoir de maison de campagne, si l’on ne pouvait se donner le plaisir d’en décorer de noms grecs toutes les distributions. Προκοιτὼν (antichambre), παλαίστρα (palestre), ἀποδυτήριον (vestiaire), περίστυλον (colonnade), ὀρνίθων (volière), περιστερεὼν (colombier), ὀπωροθήκη (fruiterie). Comme de nos jours il n’est guère de chefs de famille qui, laissant là faux et charrue, n’ait émigré dans l’enceinte de Rome, et ne consacre à applaudir au cirque et au théâtre les mains jadis occupées aux champs et aux vignobles, il en résulte qu’aujourd’hui nous payons pour qu’on nous apporte d’Afrique et de Sardaigne le blé qui nous nourrit, et que nous allons par mer faire vendange à Cos et à Chio.
près quelques années passées dans l'armée et occupé le poste de tribun en Syrie en 35, Columelle se consacre à l'agriculture comme son oncle paternel, réputé agriculteur des plus habiles de la Bétique.
Il se consacre également à la rédaction de De re rustica constitué de 12 livres dont le dixième sera consacré aux jardins et qui aura la particularité d'être en vers.
Il me reste désormais à parler de l'horticulture, qui, jadis notablement négligée par les anciens agriculteurs, paraît intéresser au plus haut point ceux de notre époque. Quand, chez nos aïeux, la frugalité était poussée jusqu'à la parcimonie, les pauvres gens semblaient vivre plus à l'aise: en effet, l'abondance du laitage, la chair des bêtes fauves et des bestiaux élevés à la ferme, étaient, pour les sommités sociales comme pour les plus humbles conditions, un aliment commun, ainsi que l'eau et le froment.
Mais dès que les siècles suivants, et surtout le nôtre, eurent élevé le prix des mets de luxe, et que les repas furent estimés, non d'après la satisfaction des appétits naturels, mais d'après le taux de leur dépense, la pauvreté plébéienne, ne pouvant aborder ces mets vendus au poids de l'or, fut réduite aux aliments les plus communs.
C'est pourquoi je vais donner, avec plus de soin que ne l'ont fait nos devanciers, des préceptes sur la culture des jardins, parce que les fruits qu'ils produisent sont devenus de nos jours d'un usage plus général qu'ils ne l'étaient autrefois. Comme je me l'étais proposé, j'aurais écrit en prose ce livre pour le joindre aux livres précédents, si vos instances réitérées n'eussent triomphé de ma résolution, en me déterminant à mettre en vers les parties omises dans le poème des Géorgiques, travail que Virgile avait expressément déclaré laisser aux âges futurs. Certes, pour m'inspirer tant d'audace, il ne fallait rien moins que ces paroles d'un poète digne d'une si profonde vénération.
Ainsi inspiré par cette sorte de divinité, tout en hésitant certainement à cause de la difficulté de l'entreprise, mais ne renonçant pas à l'espoir d'un heureux succès, j'ai abordé une matière fort légère et presque privée de corps, qui est si mince qu'elle ne pourra être comptée que comme une parcelle de notre travail dans l'accomplissement de notre oeuvre, parcelle pourtant achevée en soi et contenue dans ses justes limites, mais à laquelle, en aucune manière, on ne saurait donner une certaine consistance. En effet, quoiqu'il soit composé, pour ainsi dire, de plusieurs membres sur lesquels je pourrais parler, ils n'en sont pas moins assez exigus pour qu'on puisse leur appliquer ce proverbe grec: " On ne saurait faire une corde avec les impalpables atomes du sable."
Je vous enseignerai aussi, Silvinus, la culture des jardins, et ces détails que Virgile nous a laissé le soin de traiter, quand, restreint jadis dans des limites trop resserrées, il chantait la fécondité des moissons, les présents de Bacchus, et vous, grande Palès, et le miel, cet aliment digne des habitants des cieux.
D'abord, qu'un champ fertile recouvert d'une couche féconde d'humus et dont la surface profondément ameublie imite la ténuité du sable, soit affecté au jardin dont on attend d'abondantes productions. Il est propre à cette destination, le terrain qui produit des herbes vigoureuses et qui, dans sa fraîcheur, donne naissance aux haies rougeâtres de l'hièble; mais on doit rejeter tout emplacement aride, aussi bien que celui qui, recouvert d'eaux stagnantes, retentit continuellement du coassement plaintif de la grenouille.
[...]
Que des eaux courantes soient voisines de ce lieu, afin que le cultivateur endurci au travail puisse les conduire au secours de ses jardins toujours altérés; ou bien qu'une source distille son onde dans un puits peu profond, pour que la fatigue n'essouffle pas ceux qui doivent y puiser.
Ce terrain sera clos, soit de murailles, soit de haies épineuses, pour le rendre inaccessible aux bestiaux et aux voleurs. Il n'est pas nécessaire de recourir aux chefs-d'oeuvre de la main de Dédale, ni à l'art de Polyclète, de Phradmon ou d'Agélade; mais que le tronc façonné d'un vieux arbre expose à la vénération le dieu Priape au membre formidable, lequel du milieu du jardin ne cessera de menacer les enfants de son phallus et les voleurs de sa faux.
Allons, courage, Muses de Piérie! exposez maintenant en vers légers les principes de la culture, dans quels temps on doit confier les semences à la terre, les soins qu'elles réclament ensuite, sous quel astre commencent à éclore les fleurs, et se couvrent de boutons les rosiers de Pæstum, quand mûrissent les dons de Bacchus, et quand, enrichi d'une greffe étrangère, l'arbre perfectionné se courbe sous des fruits adoptifs.
Lorsque le Chien se désaltèrera dans les ondes de l'Océan, et que le soleil rendra les jours égaux aux nuits; lorsque l'automne rassasié de fruits, secouant ses tempes, et, barbouillé de vin doux, l'exprimera des grappes écumantes, il est temps de retourner, avec une bêche au manche de chêne, la terre devenue meuble par le soin qu'on a pris de la défoncer pour qu'elle soit imbibée par les pluies. Mais si, sans avoir été travaillée, elle est endurcie par la continuation d'un ciel serein, il faut, par une pente déclive, y conduire des ruisseaux qui puissent la désaltérer et remplir ses gerçures béantes.
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Mais, dès que la terre, embellie par cette distribution et brillant d'une parure nouvelle, demande à être ensemencée, confiez-lui, comme autant d'astres terrestres, diverses espèces de fleurs, telles que la blanche giroflée, le souci au jaune éclatant, la narcisse aux feuilles effilées, le muflier offrant sa gueule entrouverte de lion féroce, le lis dont la blanche corolle fait ressortir le vert feuillage, et les jacinthes tant blanches que bleues.
Semez aussi la violette pâlissant sur le sol, le violier dont les rameaux s'empourprent d'or, et la rose qu'embellit l'excès de sa pudeur. N'oubliez pas le panax au suc médicinal, le glaucium dont le jus est salutaire, et les pavots qui enchaînent le sommeil fugitif; non plus que les semences aphrodisiaques du bulbe de Mégare, qui enflamme les hommes et anime les jeunes filles, et ces plantes que le Gétule cueille sèches sous ses gazons, la roquette que l'on sème près de la statue du fécond Priape, pour exciter au culte de Vénus les maris indolents.
[...]
La récolte des fleurs odorantes approche; déjà le printemps revêt sa robe de pourpre; déjà la terre féconde se couronne avec joie des productions de diverses couleurs que fait naître l'année. Déjà le lotier phrygien développe ses fleurs brillantes, les violiers ouvrent leurs yeux clignotants, le lion offre sa gueule béante, et, modeste en sa rougeur ingénue, la rose, découvrant ses joues virginales, rend honneur aux dieux et s'unit dans leurs temples aux parfums de la Sabée.
Maintenant je vous implore, Achéloïdes compagnes des Muses, Dryades qui dansez sur le Ménale, Nymphes Napées, vous qui habitez les forêts d'Amphryse, la vallée du Tempé thessalien, les sommets du Cyllène, les champs ombragés du Lycée, les grottes toujours humides des infiltrations de la fontaine Castalie; et vous, qui dans la Sicile cueilliez les fleurs qui naissent sur les bords du fleuve Ilalesus, quand la fille de Cérès, occupée de vos danses, mettait en bouquets les lis printaniers des campagnes d'Enna, puis, victime d'un rapt, et bientôt devenue l'épouse du monarque du Léthé, préféra les tristes ombres à l'aspect des astres, et le tartare aux cieux, Pluton à Jupiter, la mort à la vie, et, sous le nom de Proserpine, monta au trône des enfers! Vous aussi, écartez le deuil, la crainte et l'abattement: tournez vers ces lieux vos pieds délicats et légers, et déposez dans les corbeilles sacrées les fruits dont la terre s'est couronnée.
Ici, les Nymphes n'ont à redouter aucune embûche, nul enlèvement ne les menace: nous honorons la chaste bonne foi et vénérons nos saints pénates. Tout ici respire les jeux : on y rit sans contrainte, le vin y coule à flots, et les banquets s'y célèbrent sur les tapis verdoyants des joyeuses prairies. Déjà le printemps dissipe les frimas; l'année se développe dans toute sa douceur: c'est maintenant que Phébus, dans sa jeunesse, nous invite à nous étendre sur l'herbe moelleuse, et que l'on peut goûter le plaisir de se désaltérer dans l'onde qui n'est plus glacée, qui n'est pas chaude encore, et qui murmure en fuyant à travers les gazons.
Déjà le jardin se couronne des fleurs chères à Vénus; déjà la rose s'entrouvre, plus éclatante que la pourpre de Sarra. Oui, les jardins, grâce aux productions éclatantes qui les embellissent, brillent plus que la fille de Latone, Phébé, montrant la pourpre de son visage radieux, quand Borée a dispersé Ies nuages, plus que Sirius enflammé, plus que le rouge Pyroïs, plus qu'Hespérus à la face resplendissante, quand Lucifer reparaît au lever de l'aurore; plus qu'Iris déployant son arc dans les cieux. Allons! soit que la nuit à son déclin fuie devant la lumière naissante, soit que Phébus plonge ses coursiers dans la mer d'Ibérie, cueillez la marjolaine qui couvre le sol de son ombrage odorant, le narcisse aux feuilles effilées, et le stérile balauste.
Et toi, pour qu'Alexis ne méprise pas les présents de Corydon, toi, Naïade plus belle que ce bel enfant, comble de violettes ta corbeille, lie en bouquets les noirs ligustres, et le baume, et la cannelle, arrose les fleurs du crocus avec la liqueur pure de Bacchus, car Bacchus conserve les parfums.
Et vous, villageois, qui avec votre pouce endurci cueillez les tendres fleurs, entassez les jacinthes bleuâtres dans le blanc tissu de vos corbeilles d'osier; que les roses distendent le tissu du jonc entortillé, et que les soucis brillants comme la flamme fassent rompre les corbeilles comblées, afin que Vertumne regorge de ces productions printanières qui font sa richesse, et que, d'un pas que ses nombreuses libations ont rendu chancelant, le jardinier revienne de la ville, ses poches gonflées d'argent.
onnu sous le nom de Palladius, Rutilius Taurus Aemilianus nous a transmis l'unique traité d’agriculture de l’Antiquité tardive. C’est un ouvrage imposant de quinze livres qui présente les sujets généraux y compris le jardin, livre 1, puis mois par mois, les divers travaux des champs, chacun faisant l'objet d'un livre, puis la médecine vétérinaire et greffe des arbres, ce dernier en vers. L'ouvrage servira durant tout le Moyen-Age.
Les jardins doivent être clos; mais il y a plusieurs genres de clôture. Les uns, en remplissant des moules de terre délayée, imitent les murs de briques. Ceux qui en ont les moyens, construisent des murs de boue et de pierre. Le plus grand nombre entasse des pierres disposées en ordre sans aucun ciment de terre. Quelques-uns environnent de fossés le sol qu'ils veulent cultiver; mais les fossés ne sont utiles qu'autant que le terrain est marécageux, parce qu'ils attirent à eux toute l'humidité. D'autres entourent leur jardin de pieds et de graines d'arbrisseaux épineux. Le mieux est de cueillir de la graine mûre de prunellier et d'églantier, et d'en mêler avec de la farine d'ers trempée dans l'eau; ensuite on en couvre de vieilles cordes de genêt, de manière que cette graine y pénètre et s'y conserve jusqu'au commencement du printemps. Alors on creuse, dans l'endroit où l'on veut former une haie, deux tranchées d'un pied et demi de profondeur, distantes l'une de l'autre de trois pieds ; puis on couche le long de ces deux tranchées les cordes garnies de leurs graines, et on les recouvre légèrement de terre. Par ce moyen les buissons paraissent le trentième jour. Tant qu'ils sont jeunes, on en facilite la croissance par des appuis qui les réunissent dans les espaces restés vides.
Le chapitre suivant trait des maladies de leurs remèdes et de la protection contre la grêle:
Pour préserver vos plantations des nuées et de la rouille, quand vous verrez des nuées menaçantes, brûlez toutes les pailles et toutes les immondices entassées dans votre jardin. On cite un grand nombre de talismans contre la grêle. Enveloppez une meule d'étoffe rose; levez d'un air menaçant contre le ciel des haches ensanglantées; entourez tout votre jardin de vigne blanche; suspendez-y une chouette, les ailes étendues; frottez vos outils de graisse d'ours. Il y a des personnes qui conservent cette graisse battue dans l'huile, et qui en frottent leurs serpettes avant de faire la taille. Mais cette opération doit se faire en secret pour qu'aucun émondeur ne s'en aperçoive. Elle est, dit-on, si efficace, que ni la gelée, ni les nuées, ni aucun animal, ne peuvent plus causer aucun dommage; divulguée, elle perdrait toute sa vertu.
Pour détruire les moucherons et les limaçons, répandez du marc d'huile nouvelle ou de la suie détachée des voûtes.
Pour détruire les fourmis, si la fourmilière est dans le jardin, mettez auprès un cœur de chouette. Si les fourmis viennent du dehors, tracez une ligne autour du jardin avec des cendres ou de la craie.
Pour détruire les chenilles, trempez les graines que vous devez semer dans leur sang ou dans du suc de joubarbe. Pour préserver les pois chiches de leurs nombreux ravages, plantez-les entre les légumes. Quelques-uns jettent sur les chenilles des cendres de figuier, et sèment ou suspendent des scilles dans leur jardin. Il en est qui, pour écarter les chenilles et les autres bêtes, font faire le tour du jardin à une femme sans ceinture, pieds nus et les cheveux flottants, à l'époque de ses règles. D'autres clouent des écrevisses de rivière en plusieurs endroits de leur jardin.
[...]
Pour que vos légumes n'engendrent pas d'animaux nuisibles, faites sécher dans une écaille de tortue toutes les graines que vous devez semer, ou bien semez de la menthe en plusieurs endroits de votre jardin, et particulièrement entre les choux. Vous obtiendrez, dit-on, le même effet, en semant un peu d'ers, surtout parmi les radis et les raves. On prétend aussi qu'en versant sur les légumes du fort vinaigre mêlé avec du suc de jusquiame, on tue les pucerons.
[...]
On croit qu'on peut se préserver de la grêle en promenant dans ses domaines une peau de crocodile, d'hyène ou de veau marin, et en la suspendant à l'entrée de la métairie ou de la cour, lorsque le fléau approche. On prétend aussi que si l'on parcourt les vignes en portant dans la main droite une tortue de marais renversée sur le dos, et qu'au retour on la dépose dans la même situation, en fixant, au moyen de mottes de terre, la courbure de son dos, pour l'empêcher de se retourner et la forcer de rester ainsi couchée, la nuée dangereuse respectera l'endroit muni de ce précieux talisman.
Quelques personnes, en voyant approcher la nuée, la reflètent dans un miroir qu'elles lui présentent
; et, soit que son image lui déplaise, soit qu'étant, pour ainsi dire, doublée, elle cède la place à une autre, la nuée se détourne. Une peau de veau marin, étendue sur un cep, préserve aussi, dit-on, le vignoble entier du fléau qui le menace. On prétend que les semences d'un jardin ou d'un champ sont à l'abri de tout mal et de toute bête funeste, lorsqu'on les a macérées avec des racines broyées de concombre sauvage. Le crâne d'une jument qui a porté, ou celui d'une ânesse, placé dans un jardin, est également regardé comme une cause de fécondité pour tout ce qui l'entoure.